Le Cheval blanc

Une « maison de famille » deux étoiles Michelin à la décontraction chaleureuse. Bienvenue à Lembach chez Carole et Pascal Bastian.

Qu’est-ce qui distingue un deux étoiles Michelin d’un autre, quand on y songe ? Un cadre, une manière de sublimer les produits mais surtout des femmes et des hommes. Celles et ceux qui vous ouvrent la porte et vous accueillent, toujours attentifs, détendus et souriants, travaillant dans l’ombre d’immenses cuisines, conjuguant leurs efforts pour faire d’un séjour bref ou prolongé un moment inoubliable qui donne envie de revenir, voire de partager cette expérience via un bon cadeau. Ainsi de Carole et Pascal Bastian, duo de quadras ayant su donner à cette maison aussi imposante qu’une place forte une décontraction chaleureuse sans contrevenir aux codes de l’hospitalité de haute volée.

Au cœur de Lembach la bâtisse en impose dès la façade et son porche. À l’intérieur, de hauts murs de moellons larges et sûrs, des poutres qui composent l’ossature, les dimensions de chaque pièce, jusqu’à la monumentale cheminée de grès qui orne la salle à manger nimbée de lumière chaude s’infiltrant par flots à travers une baie aux carreaux à l’ancienne, tout pourrait, de prime abord, intimider le visiteur. « Les bâtiments datent de 1720 », explique Pascal Bastian, sourire juvénile et carrure imposante ceinte d’un tablier aux armes de la maison. « À l’origine, il s’agissait d’un relais de poste. »

Univers étoilé

Moins loin dans le temps mais pendant longtemps quand même et jusqu’au début des années 2000, Le Cheval Blanc est associé au nom de la famille Mischler qui l’exploite depuis quatre générations. Fernand Mischler, ancien président des maîtres cuisiniers de France, cofondateur des Étoiles d’Alsace, avait repris l’affaire en 1964 et élevé sa table jusqu’aux deux macarons Michelin, imprégnant déjà les lieux de cet esprit d’exigence propre aux grandes maisons. Au point même qu’il fallut au couple revenir à cinq reprises avant de s’en porter acquéreur.
Carole et Pascal travaillent alors à l’Arnsbourg, en Moselle, le « trois étoiles » de Jean-Georges Klein. Lui en qualité de second de cuisine, elle à l’hôtel attenant.
De retour en Alsace, le couple l’est depuis un an et demi à peine, après avoir enchaîné les expériences formatrices en solo, puis à deux… De Cannes au château des Reynats, où Philippe Etchebest embarque Pascal, mais aussi Carole en salle, jusqu’à Saint-Emilion où le cuisinier télégénique au gabarit de rugbyman décroche ses deux étoiles à leurs côtés. C’était en 2008. «Nous devions rester un an, on en aura fait six. Humainement, on s’entendait bien. Avec lui, nous avons beaucoup appris, il nous faisait confiance. »

Depuis leur retour, le couple a en projet de reprendre « un petit restaurant » s’amuse rétrospectivement Pascal. « Mais bon, là, c’était trop grand, cela faisait peur…», assure Carole en écho. Surtout qu’ils n’ont pas un sou vaillant et que Pascal, malgré un parcours bien étoffé, n’a jamais été chef. Mais Fernand Mischler qui cherche un repreneur sait se montrer persuasif. Et patient. « Il a beaucoup fait pour nous faciliter la reprise ». Si bien qu’en mai 2008, le Cheval Blanc change de main et décroche sa première étoile en mars dès l’année suivante. La deuxième arrive en 2015. « C’était le 31 janvier, se souvient Carole. Ce jour-là, on inaugurait le spa. À 22 heures, le Michelin appelle… » Imaginez la liesse. La fierté qui s’empare des équipes. « Je ne me lève pas tous les matins en pensant aux étoiles, assure Pascal. Nous sommes animés du souci de bien faire. Et puis de faire encore mieux… »

Maison de famille

«Nous ne voulons pas décevoir les clients, complète Carole. D’autant plus qu’ils sont fidèles ». Car le Cheval Blanc est une maison familiale. À n’en pas douter. Les gens viennent ici fêter leur communion, leur mariage et leur anniversaire. Ils viennent en famille le dimanche, par tablées de douze à Noël. Certains depuis 30 ans. Cela dit, reconnaissent les maîtres des lieux, la deuxième étoile leur a apporté une clientèle nouvelle. Plus internationale. « Avant, nous avions des Allemands, des Belges, des Luxembourgeois… Depuis, il y aussi des Italiens, des Anglais, même des Américain set des Asiatiques qui jusque-là s’aventuraient rarement au nord. » Ce nord alsacien, pays de sombres forêts au point que dans les années 80, l’association des Etoiles d’Alsace, dont le Cheval Blanc est membre, est précisément née de ce besoin d’alimenter en beaux produits ces terres reculées. À l’heure du recentrage sur le local, le paradigme s’est inversé. Si cela fait sens au yeux de Pascal Bastian, le chef prévient : « Tout ce qui est local n’est pas forcément bon. Et puis, se limiter à un périmètre de 30 km autour du restaurant reviendrait à priver les Alsaciens… de homard et de bar ».

Bibliothèque de saveurs

Alors bien sûr, il y a le décorum qui à ce niveau d’exigence pourra en déconcerter certains : les services en cinq plats, la vaisselle adaptée à chaque bouchée, les émulsions, bouillons, infusions et sauces, beaucoup de belles sauces… « C’est un marqueur que les gens apprécient ! » Mais la cuisine de Pascal Bastian, malgré les codes, a conservé du peps, lui-même reconnait d’ailleurs s’amuser un peu, beaucoup, passionnément en cuisinant… « Je crois qu’on a trouvé nos marques » assure-t-il. Ce que confirme cette habituée : « En cinq ans, là où d’autres se seraient laissés entraîner à la facilité, eux se sont affûtés. »

« J’ai une bibliothèque de saveurs dans la tête », explique le chef. « Les associer relève du jeu. Parfois ça marche, parfois pas. » Et si certaines nouveautés sont abouties dès le premier essai, d’autres nécessitent de s’y reprendre. Encore et encore. « Pascal et moi sommes les premiers à tester, si ça ne passe pas… on en reste là », assure Carole. Au rang des mariages heureux récemment goûtés, il y a ce combo amandes, feta, abricots associés au thon rouge ou bien encore le maïs et les trompettes de la mort alliés à la poitrine de pigeon rôtie. Insoupçonnables et réussis. Pour escorter ces équipages, le chef sommelier fera chanter à la manière d’un chef de chœur les quelques 12000 bouteilles et 750 références de la cave, dont une quinzaine avancent en éclaireuses, servies au verre.

Restaurant, hôtel et spa

Si la déco du restaurant est cossue, encore affinée en 2012 avec dans l’idée de mettre les belles pièces comme la cheminée en valeur, l’établissement est aussi passé de six chambres à douze, puis à 21 en 2015. Date aussi de l’adjonction d’un spa aux teintes chaudes et boisées comprenant piscine, sauna, hammam, jacuzzi et salles de soins servies par deux esthéticiennes autour de la gamme Pure Altitude de grande qualité. « Le restaurant restera toujours notre produit d’appel. Les clients viennent d’abord pour la cuisine », rappelle Carole. Même s’ils sont de plus en plus nombreux à vouloir rester pour le week-end ou en court séjour, afin de profiter des chambres spacieuses et confortables alliant modernité et tradition. De l’aveu même de Carole Bastian, le spa est aussi là pour rassurer la clientèle exigeante qui s’inquièterait de savoir quoi faire à Lembach un jour de pluie ! « C’est surtout la piscine qui constitue un critère de choix, même si beaucoup n’en profitent pas ». Alors ne faites pas comme eux : lâchez prise et profitez. Vu du Cheval Blanc, ce coin d’Alsace est si enchanteur qu’on aimerait presque en préserver le secret.


Le Cheval Blanc
4, rue de Wissembourg à Lembach


Par Jibé Matthieu
Photos Grégory Massat