Le Bistrot d'Antoine : cuisine bourgeoise

À contre-courant de la bistronomie, le chef Antoine Kuster (qui a fait ses armes Au Crocodile – dont le service a récemment été auréolé d’un prix Michelin) favorise la générosité et travaille des produits peu communs, symboles d’une cuisine quasiment révolue. Cuisses de grenouille, agneau de lait ou éperlans mais aussi l’un des fleurons de la cuisine bourgeoise : le lièvre à la royale. Un plat de gibier considéré comme l’un des plus beaux…

Agneau de lait bio au Bistrot d'Antoine. © Henri Vogt
Agneau de lait bio au Bistrot d'Antoine. Photo : Henri Vogt

14h30, fin de service au Bistrot d’Antoine ; farandole de tables déjà dressées et téléphone hurlant ses résa du soir. Antoine Kuster éconduit un crieur de boissons avant d’enrober son lièvre à la royale de récits possiblement troublants pour le gastronome cerbère des temps modernes, ébahi par la débandade de globules rouges et autres abats que notre Maïté nationale ne renierait pas.

Le lièvre à la royale c’est ça : une recette d’un autre temps où le plomb du chasseur se perdait dans la daubière, fascinante pour ce qu’elle raconte d’une cuisine bourgeoise tombée en désuétude et pour ce qu’elle révèle du savoir-faire du cuisinier. Une étape ratée et passent aux oubliettes l’équilibre délicat de la farce montée en boudin ou l’élégance subtile de cette sauce couvrante lissée au sang et au foie gras (Antoine Kuster y ajoute un brin de vinaigre).

Lièvre à la Royale parsemé de truffes blanches d'Alba. © Alexis Delon / Preview
Le Lièvre à la Royale, parsemé de truffes blanches d'Alba. Photo : Alexis Delon / Preview

« Gamin, j’étais traqueur, on revenait à 16h30 de la chasse pour se réchauffer avec du civet en sauce et des spätzle. Cette sauce, c’est l’odeur de la forêt, c’est la cuisine que je revendique. Quand je prépare le lièvre à la royale, c’est le dimanche ou le lundi quand le resto est vide, j’ai besoin d’une concentration absolue. »
Et pour cause : au Bistrot d’Antoine, une fois la bête désossée et vidée, la chair est abaissée, parsemée de sauge, roulée autour d’un boudin mêlant trompettes de la mort, chanterelles, abats, lard de Colonnata et foie gras. Enrobée de crépine puis d’un torchon, elle rejoint ensuite pour 10 heures (!) un bouillon d’os concassés, vin blanc, vin rouge, garniture aromatique, oignon et ail pour être resserrée par un second torchon et par un passage en chambre froide, avant d’être réchauffée au four puis de se voir nappée par sa sauce et auréolée par la puissance d’une truffe blanche d’Alba dont l’odeur embaume la pièce en un rien de temps.

Cette version périgourdine, fruit défendu d’Escoffier, sortie du placard par l’immense Alain Senderens au Lucas Carton et vertement adorée par le boutefeu David Rathgeber de L’Assiette à Paris, fait honneur à la cuisine authentique et gourmande du Bistrot d’Antoine. On y trouve au passage blanquette de veau, daube de paleron de bœuf ou poule au pot.

Prochaine étape pour parfaire cette recette de haute volée : dégoter du lièvre de Beauce pour remplacer son compère certes galopant, mais briton. Comptez 50 € pour rendre justice au colossal travail du cuisinier.


Côte de Cochon Ibérique – 27 €
Suprême de Volaille Jaune – 21 €

Bistrot d’Antoine
3, rue de la Courtine à Strasbourg

Mar. > ven. | midi et soir
Sam. | soir


Par Cécile Becker
Photos : Henri Vogt et  Alexis Delon / Preview