La Boul’ange :
aux origines du pain

C’était son souhait le plus cher depuis quelques années : ouvrir sa boulangerie et revenir aux origines du pain, en pratiquant l’art exigeant du levain en plus d’une foultitude de viennoiseries, pâtisseries et desserts bio. Maurizio tient La Boul’ange, une petite boulangerie bordée d’une terrasse, où l’on peut aussi déjeuner et se désaltérer.

Maurizio, le boulanger, dans son labo. Photo : Christophe Urbain

La Boul’ange, on en est vite tombé amoureux. Comme Maurizio, le boulanger, tombé corps et âmes dans le levain après une reconversion. Mais l’envie était déjà là, depuis longtemps. L’Italien se souvient avec tendresse de son ami boulanger qui le faisait régulièrement travailler le vendredi. Il sourit encore à l’évocation de ces soirées de travail intensives avant de poursuivre ses week-ends, typiques d’une jeunesse dans le plus beau pays du monde (en toute objectivité). En 1989, il décide d’immigrer en France mais ne perdra jamais sa passion pour la gastronomie. Il a toujours eu un regard attentif sur son assiette et l’origine des produits. C’est une question d’éthique.

Le levain, un autre rythme

Et puis quand il aime quelque chose, il y va à fond, c’est comme ça. Sur le levain, d’ailleurs, et avant toute chose et de nous expliciter son parcours, il ne peut s’empêcher de nous faire un petit cours : « Le levain dégrade l’acide phytique, déstructure le gluten, rend le pain plus digeste et transforme le tout en vitamines. Le levain, c’est aussi un savoir-faire qui s’est perdu, la transmission ne s’est pas faite. » La faute à l’industrialisation et à l’impatience « le pain a perdu sa place d’aliment et est devenu un accompagnement ». Il faut tout, tout de suite, et que les produis se ressemblent. Tout l’inverse du levain qui demande du temps et qui porte en lui le terroir, le savoir, la patte du boulanger et peut-être même l’atmosphère du jour, qui sait ? Quand il n’est pas prêt, il n’est pas prêt, c’est comme ça. « C’est sûr, ça coûte moins cher de déballer un carton, mais la satisfaction de tout travailler moi-même me rend heureux, et puis, rien de mieux que la satisfaction des clients », explique-t-il. Mais le levain impose aussi de s’adapter (ne serait-ce qu’à chaque farine, à la température, au taux d’humidité) et même, de changer son rythme de vie.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que la plupart des boulangers-patrons, fervents défenseurs du levain, sont passés par une reconversion : c’est le cas de Maurizio, ancien comptable, et aussi de Christophe Rostalski (Fournil Kristof), chez qui Maurizio est passé après une formation débutée à l’École internationale de boulangerie. Pour la cerise sur le gâteau, il a parfait ses études par un CAP Pâtisserie. Jusqu’au-boutiste et intransigeant, il fait aussi son propre caramel beurre salé et sa pâte à tartiner. Tout passe par ses mains. Tout. Comme si mettre les mains à toutes les pâtes permettait de retrouver le temps et le sens. Le lien quoi. « La façonneuse qu’il y avait dans le labo à notre arrivée, elle est partie. Les pâtes à pain sont tellement délicates qu’il faut travailler à la main. » Ça tombe bien, ça permet de tout sentir. Le levain dicte tout. C’est d’ailleurs presque un travail de chimiste.

Le temps et le travail

Dans le labo de La Boul'ange. Photo : Christophe Urbain

À La Boul’ange, tout le travail est organisé autour du levain. Le repos et le rafraîchi du levain, les 24 heures de pousse de la pâte, ça demande de la place et tout un agenda de production. Alors ici, on a fait le choix judicieux de proposer, en plus des pains élaborés chaque jour – comme le pain de campagne aux graines, le petit-épeautre, le pain gingembre-noisettes – un pain spécial par jour dont un, sans farine de blé. « C’est du travail, beaucoup de travail, mais on n’est pas là au turbin, il faut être là avec sa tête. Je fais les choses comme j’aimerais les manger. »

Les desserts et pâtisserie de saison c’est aussi quelque chose ! Hors de question d’utiliser des framboises ou des pistaches si ce n’est pas la saison. Celles et ceux qui ont croqué leurs beignets savent de quoi on parle, ce temps de travail se retrouve dans le goût : tout est finement travaillé et équilibré. Leur sandwich focaccia, leur stolle, leur pain à l’épeautre, au blé khorasan, leur croissant… Tout est bio et sourcé au poil avec un penchant gourmand. Alors c’est sûr, le fonctionnement peut surprendre mais paraît aussi beaucoup plus raisonné, respectueux de la matière première et du travail du boulanger. Un autre rapport au pain, un autre rapport au temps, « une autre philosophie de vie, plus humaine », défend Maurizio. Et cette vision, précise et implacable, sa femme Lili, souvent en boutique et au salon de thé, la porte haut et fort et avec une fierté sans pareille. « Revenir aux choses essentielles. » E basta.


La Boul’ange
4, rue de la Brigade Alsace-Lorraine à Strasbourg
03 88 35 59 89


Par Cécile Becker
Photos Christophe Urbain