Sur le gril : le raisin

Toute l’année, il clapote dans nos verres. En septembre, c’est le temps des vendanges : il est sur toutes les bouches, sous les sécateurs, avant de finir dans les cuves pour débuter sa macération puis sa fermentation. Ne lui lâchons pas la grappe. Notre professeur ? Éric Kamm, vigneron nature, chez qui nous avons récolté nos deux chapelets.

Le raisin d'Éric Kamm, à Dambach-la-ville. Photo : Alexis Delon / Preview

Il faut avant tout comprendre que le raisin de cuve a peu de choses à voir avec le raisin de table. Ce dernier a aussi ses cépages, le plus commun étant l’Alphonse-Lavallée, le plus connu, le chasselas. Les grains du raisin de table sont plus charnus et la grappe bien plus fournie. Logique : pour avoir du « croquant », la quantité de pulpe est plus importante. À l’inverse, une grappe qui deviendra « sang du christ » est moins impressionnante. Plus petite, ses grains ont un ratio peau-pulpe plus élevé pour concentrer les arômes. La peau est plus dure, colle au palais, l’acidité est plus présente, mais la typicité du terroir et du cépage ressort déjà.

Le sol agit sur le raisin

Tout est déjà dans les sols. Mettre les mains et le nez dans les terres pour en saisir les subtilités est éclairant. « Il faut que ta terre sente la forêt et pas le renfermé, qu’elle soit aérée. Il faut favoriser le vivant, l’humus, créer une énergie en gratouillant tous les jours, un peu pour ne pas bouleverser l’écosystème », explique Éric Kamm, vigneron nature. Trop ou pas assez de soleil, trop de froid, trop ou pas assez de pluie : les grappes réagissent rapidement au moindre changement. Quand de nombreux vignerons font le choix de laisser une couverture végétale vivre entre leurs rangs, Éric, lui, laboure une fois par an pour laisser respirer sa terre.
Sur les parcelles voisines conventionnelles, régulièrement arrosées de saloperies (soyons clairs), le sol est quasiment de couleur grise, très compact, presque mort. Et leurs grappes « en super-perfusion » paraissent clairement boostées. Notons qu’en Alsace, on compte environ 310 domaines viticoles bio, soit 7,8% des viticulteurs et 15,9% du vignoble, ce qui reste relativement peu alors même que l’Alsace est la région viticole la plus bio.

Quand le terroir s’exprime

Chez Kamm, on trouve du gewurztraminer, du riesling, quelques pieds de sylvaner (par principe, pour conserver la diversité des cépages dans le terroir), du pinot gris et, bien sûr, le grand cru Frankstein, appellation typique de Dambach-la-ville, trésor de subtilité et de tension. À Dambach, on compte sur les terres d’argile, de granite et d’alluvions. Le facteur sol a un impact fort sur l’expression du terroir, autant que la météo ou le relief. « Plus on est en haut de coteaux, plus la roche mère du terroir s’exprime », en l’occurrence le granite. La pluie se charge de faire descendre les argiles. Et ces minéraux-là jouent sur le raisin et les aromatiques. Éric Kamm complète : « Pour faire rêver les gens, j’ai envie de dire que ça se sent dans le raisin, mais en réalité, c’est lors de la fermentation que le terroir ressort le plus et à la dégustation qu’il se dégage. » Le granite incarne la salinité, des saveurs légèrement épicées, quand l’argile est plus riche et lourd, les alluvions font en théorie ressortir plus de finesse. Quand sait-on que le raisin est prêt à être récolté ? « Il faut que le pépin soit entièrement brun. Si la pulpe reste encore un peu accrochée, il faudra attendre un peu avant de vendanger. On fait aussi des prélèvements de maturité qu’on envoie au labo pour calculer le taux d’acidité et ton taux de sucre. » Quand l’équilibre est là : vamos !

Le travail du vigneron

Éric Kamm est un partisan du moindre effort (de la moindre contrainte serait plus juste). Sa philosophie, c’est que la nature fait très bien son boulot toute seule, à condition qu’on sache l’observer, la toucher, la sentir et intervenir lorsque c’est nécessaire. Son truc, comme beaucoup de vigneron nature, c’est la sensibilité et l’instinct. Prendre des notes pour mémoriser les éléments qui joueront sur son raisin ? Très peu pour lui. « Je n’ai jamais aimé ce qui est protocolaire. C’est comme quand je fais la cuisine, je ne respecte rien. » Ses 7 hectares que son père a cultivés avant lui ont tout changé : « Le vin nature m’a immensément sauvé, cette énergie-là c’est une porte de sortie vers plus d’équilibre, dira-t-il. Le travail de la terre te donne une temporalité. J’ai aussi envie de vivre, et ce n’est pas parce que t’y passes plus de temps que c’est meilleur. Il faut vivre simplement et se rappeler que demain, t’es plus rien. Un jour, tout peut s’arrêter, autant en profiter. »


Domaine Jean-Louis et Éric Kamm
59, rue du Maréchal Foch à Dambach-la-Ville
www.vins-kamm.fr


Par Cécile Becker