Du local dans le bocal

Alélor fêtera bientôt ses 150 ans, mais la PME sait se réinventer sans cesse pour rester dans l’air du temps avec ses moutardes, son raifort et ses cornichons. Ses nouveaux produits, naturels et bios, sont la partie visible d’un engagement fort pour le local et pour le goût.

Alain Trautmann, directeur d’Alélor © Christoph de Barry

De la moutarderie des frères Stumpf créée en 1873, en passant par la fondation de Raifalsa à Mietesheim en 1956, jusqu’à la fusion des deux marques en 2009 sous le nom d’Alélor… L’histoire de cette PME d’Alsace du Nord s’est ancrée autour de trois produits : la moutarde douce, le raifort et le cornichon. À la tête de l’entreprise, rachetée par son père en 1997, Alain Trautmann, l’actuel directeur, n’a eu de cesse de défendre l’origine de ses produits et un savoir-faire traditionnel alsacien. «La moutarde dans une région viticole, c’est assez classique, pour valoriser le vinaigre. Mais l’héritage germanique de l’Alsace a fait pencher la balance vers l’aigre-doux», explique le gérant de la dernière fabrique de moutarde douce en Alsace. C’est aussi l’unique entreprise de transformation du raifort en France. Autant dire que ses récentes démarches de labellisation ne manquent pas de légitimité. Positionnée entre savoir-faire artisanal et souci permanent d’amélioration, la petite entreprise a été reconnue « Entreprise du Patrimoine Vivant » par l’Etat en 2020 pour l’excellence de ses savoir-faire en matière de production de raifort. En 2021, elle est la 167e entreprise à avoir obtenu le label PME+, comme entreprise indépendante française à taille humaine, ayant des pratiques éthiques et responsables. «Nous avons engagé notre démarche RSE (responsabilité sociale et sociétale) il y a cinq ans, avec des engagements en faveur de l’emploi local en zone rurale, avec le soutien des filières d’approvisionnement courtes, avec des choix très concrets en faveur du tri des déchets, de la réduction, de nos consommations d’énergie, du bien-être des salariés » se réjouit Alain Trautmann. Ces labels donnent de la visibilité à des valeurs qui animent cette entreprise depuis belle lurette.

Naturellement douce
Terre de gastronomie et terroir de moutarde, l’Alsace comptait une centaine de moutardiers en 1900, qui ont totalement disparu entre les deux guerres. Il a fallu beaucoup de détermination pour relancer dès 2008, une filière agricole locale, quand 90% des graines utilisées au niveau mondial proviennent du Canada.

«Nos 1100 tonnes de moutarde produites annuellement proviennent à 75% d’Alsace. Notre objectif est d’atteindre 100%.» © Christoph de Barry

 

Aujourd’hui, quinze agriculteurs locaux, dont deux bio, cultivent exclusivement les graines blanches, utilisées dans la fabrication des moutardes douces. « Nos 1 100 tonnes de moutarde produites annuellement proviennent à 75% d’Alsace. Notre objectif, en partenariat avec la Chambre d’Agriculture d’Alsace et le Comptoir Agricole, est d’atteindre 100%. » Depuis 2019, la filière s’essaie aussi au bio, avec des rendements moindres liés à la fragilité de la plante. La production reste confidentielle avec 5 à 10 tonnes de moutarde bio produite en 2021, mais elle montera en puissance chaque année, grâce à l’achat d’une nouvelle ligne de production dédiée aux petites séries.
L’actualité d’Alélor, sur le marché de la moutarde douce, c’est surtout le lancement, en avril 2021, de six moutardes aromatiques 100% naturelles, sans additifs, ni colorants, ni conservateurs, avec des graines de moutarde cultivées en France. Un nouveau packaging — avec un couvercle noir et des étiquettes qui se détachent au lavage afin que le consommateur puisse recycler les bocaux — permet d’identifier ces nouvelles venues en rayons. Après l’ail et fines herbes, le piment d’Espelette et le raifort, trois nouveaux assaisonnements promettent de réveiller un peu les vinaigrettes : avec le miel, le basilic et l’ail des ours.

 

Production annuelle

1 100 tonnes de moutarde 150 tonnes de raifort
500 tonnes de cornichons 20 salariés
4 millions d’euros de chiffre d’affaires

Alélor à la reconquête de la production de cornichons d’Alsace © Christoph de Barry

Des cornichons dans les champs d’Alsace
Après avoir préservé la culture des racines de raifort et réimplanté celle des graines de moutarde en Alsace, Alélor s’attaque désormais à une nouvelle bataille : la reconquête de la production de cornichons d’Alsace. « Le dernier producteur alsacien a arrêté en 1994. La situation est la même dans le Val de Loire qui était une importante zone de production. Aujourd’hui 90% de la production mondiale vient d’Inde ou d’Europe de l’Est », regrette Alain Trautmann. La France s’est complètement désengagée de cette culture, qui nécessite sept semaines de pousse, très gourmande en main d’œuvre (3 400 heures de travail par hectare) quand vient l’heure de la récolte. « Il faut cueillir tous les jours, pour éviter aux cornichons de devenir trop gros. L’idéal, ce sont des usines au pied des champs pour un conditionnement immédiat », explique l’industriel.

Portée par Pierre Maurer de la ferme du même nom à Dorlisheim, la relance de la production de cornichons alsaciens est en cours d’expérimentation. « Nous avons réservé 15% de cette production de cornichons bio et locaux pour produire 50 000 bocaux cette année. » Pour produire ces cornichons d’Alsace bio aigres-doux, Alélor a exporté son savoir-faire chez un partenaire allemand à moins de 400 kilomètres, ce qui relève déjà de l’exploit. À nous d’ouvrir l’œil sur les rayons pour dénicher ses raretés piquantes et croquantes. Pour être sûrs de ne pas les rater, le plus sûr est encore une visite au magasin d’usine Alélor de Mietesheim, qui propose toute la gamme des condiments et pickles en version zéro kilomètre.


Alélor
4, rue de la gare à Mietesheim


Par Corinne Maix
Photos Christoph de Barry