La Fabrique, retour aux sources

Un an après l’ouverture de La Fabrique, retour dans le restaurant de Xavier Jarry et sa compagne Anouk Bonnet. Le chef en vogue de 33 ans garde plus que jamais les pieds sur et dans la terre : le produit, les goûts, la simplicité.

Chef Xavier Jarry du restaurant La fabrique à Strasbourg/Schiltigheim. © Christophe Urbain
Xavier Jarry, chef de La Fabrique à Schiltigheim. Photo : Christophe Urbain

Il y a un an, fin 2016, nous dressions le portrait d’un chef stressé par l’ouverture de « son bébé », à peine débarqué de Paris où il travaillait pour la cheffe Anne-Sophie Pic avec sa compagne Anouk Bonnet.

Un an plus tard, « une très bonne première année, 5 premiers mois extraordinaires » – deux embauches supplémentaires, dix couverts en plus des 25 des débuts, une décoration plus organique –, le discours n’a pas changé. Hors de question de chercher l’étoile : « C’est plus un handicap qu’autre chose. Rentrer dans le guide, c’est être complet tout le temps, c’est une clientèle qui vient pour juger. Mon gamin est prévu pour mars, je me vois mal assumer un enfant et une étoile la même année… C’est peut-être un peu tôt, confie Xavier Jarry avant de continuer, la voix pleine d’émotion. Je l’ai vécu à Paris… une pression infernale pendant 6 mois. Je me levais le matin, je buvais un jus d’orange, j’allais le vomir… Je travaillais 100 heures par semaine, voire plus. Le jour où la cheffe m’a appelé, j’ai craqué… »

Après 10 ans passés à enchaîner les tables étoilées, Xavier Jarry a ouvert, avec Anouk Bonnet, La Fabrique dans un quartier excentré : un choix motivé avant tout par une question de moyens, mais aussi par des velléités de tranquillité et de confort. Mais revenir en Alsace, terre étudiante quittée il y a 10 ans, c’était aussi retrouver ce lien au terroir, aux produits. « À Paris, vous avez tous les produits quand vous voulez. On ne se pose même plus la question. Ici, quand il n’y plus de champignons, il n’y a plus de champignons… Le lien au produit est quasiment intime. »

Si intime que sa carte part d’un produit principal pour s’agrémenter de garnitures triées sur le volet et fournies, en fonction des saisons (« le principe de la maison c’est de bosser les saisons ») et des capacités de production, par Marthe Kehren. Si intime qu’il pourra se permettre, d’ici quelques mois, de disposer de légumes cultivés exclusivement pour lui par la maraîchère de Fessenheim-le-Bas. Si intime aussi, qu’il regrette de ne pas avoir suffisamment de temps pour se rendre régulièrement sur le terrain et frotter sa créativité directement à ses sources : aux côtés des producteurs.

 « Je travaille bien plus qu’avant, c’est sûr. On a d’autres contraintes : la paperasse, la comptabilité, les ressources humaines… Mais je le fais avec plus d’envie et je sais surtout pourquoi je le fais : si demain un client est ravi ou, au contraire, mécontent, c’est pour moi. »

À La Fabrique, c’est le plaisir avant tout, fondé autour du goût, « des associations de saveurs », une influence qu’il a conservée de son travail à la Dame de Pic et qu’il met à profit dans chaque nouvelle idée de plat. « Si le goût fonctionne, vient ensuite le visuel. Je préfère avoir une assiette qui visuellement n’est pas exceptionnelle mais qui me pète la gueule plutôt que d’avoir une dinguerie technique où je suis déçu par le goût. »

Au-delà du goût, Xavier Jarry est attaché à l’atmosphère conviviale du restaurant. On le lit sur la carte, comme un slogan : « La table est l’entremetteuse de l’amitié. » « Ici, il faut que les gens viennent comme s’ils allaient manger chez des potes. Moi, les services guindés où on vient te resservir de la flotte alors que tu n’as bu qu’une lampée, ça me saoule ! J’ai fait 10 ans d’étoilés donc je ne vais pas me mettre à faire des cordons bleus, mais j’aimerais qu’on soit à l’aise, qu’on ne se sente pas gêné. Quand je vois que des gens se retiennent de saucer leur assiette, je me dis : mais mec, fais-toi plaisir, sauce ! »

Derrière cette idée, comme derrière celle du goût comme principal leitmotiv, c’est toute une conception de la simplicité qui se déploie. Sa vision du métier ? « On est des aubergistes au final, certains restaurateurs ont tendance à l’oublier : on est juste là pour donner à manger aux gens et leur faire plaisir. » Point barre.

Ce qui ne l’empêche pas d’envisager d’autres projets, à plus ou moins long terme, l’ouverture d’une épicerie-bar-à-manger où seraient vendus des produits préparés au restaurant par exemple. « Mon rêve, c’est de récupérer l’appartement voisin, de faire une cuisine ouverte, de mettre la salle dans la partie à l’arrière et à l’avant, un café avec un gros poêle. » Comme si, après 15 ans de marathon et de tempête, son désir de confort devait être partagé avec sa clientèle. On ne demande pas mieux !


La Fabrique
32, rue de la Gare à Schiltigheim
03 88 83 93 83


Par Cécile Becker
Photo Christophe Urbain