Des temps pour l’art #2

Prendre son temps pour créer, pour construire son parcours d’artiste, pour que les expériences et les rencontres se sédimentent. Laisser reposer, reprendre l’ouvrage. Rencontre avec Etienne Rochefort, danseur et chorégraphe – l’occasion de se poser un peu – autour de son rapport aux temps et au travail.

Étienne Rochefort, danseur et chorégraphe
Artiste associé à Pole-Sud, 2020-2022

Hip hop, skate, magie, cinéma, dessin… Etienne Rochefort a exploré au fil de son parcours des formes et des disciplines multiples, qui toutes viennent nourrir ses spectacles. Une écriture dynamique et singulière, biberonnée aux danses urbaines, avec laquelle il explore aujourd’hui des thèmes plus politiques. Comme avec Bugging, sa prochaine création, présentée en avril 2022.

Étienne Rochefort pendant les répétitions de sa nouvelle pièce Bugging, présentée en avril prochain
"J’ai créé une gestuelle qui m’appartient et qui évoque mon rapport au temps"

Qu’est-ce que cela signifie, d’être d’artiste associé ?
En amont, cela signifie une reconnaissance. J’ai très longtemps ressenti un manque de légitimité, je me demandais si j’avais une vraie place dans tout ça. J’ai un parcours autodidacte et brouillon, très éclectique, où j’ai tout poussé très loin, mais il m’a fallu du temps pour savoir comment réunir ces influences en un projet cohérent, singulier, et qui me ressemble. Quand le téléphone a sonné pour me proposer cette association, validée par le ministère, c’était une manière de me dire que ce que je fais a du sens.

Qu’est-ce que cela permet ?
De l’argent ! [Rires] Une visibilité accrue : tous les autres CDCN [centre de développement chorégraphique national, label de Pole-Sud, NDLR] ont été obligés de regarder qui j’étais. Pour moi, c’est aussi l’occasion de mûrir. Je suis encore très jeune dans mon parcours artistique, j’apprends en faisant, sur le terrain. Cela m’offre les conditions pour que mes projets se construisent le mieux possible.

"Je travaille beaucoup en direction des publics, sur le fait qu’ils soient déconnectés des salles de théâtre"

La sérénité aussi ?
Non, ce n’est pas le bon mot. L’assise, je dirais. Mais rien n’est acquis.

Quel est votre rapport au temps dans le travail ?
C’est mon sujet, en tout cas. Rembobiner, revenir dans le passé, dilater les moments, ralentir, donner une impression hallucinogène, grâce à la mise en scène. J’ai créé une gestuelle qui m’appartient et qui évoque cela. C’était notamment le sujet de Wormhole, d’après Kubrick, c’est aussi celui de Bugging : le monde qui bugge, qui dérape. Il m’a fallu vraiment beaucoup de temps avant de mûrir un projet identifié, qui m’appartienne, une dizaine d’années de déboires, d’expériences, de rencontres, d’apprentissages, de réflexion pour pouvoir cerner quelque chose. Maintenant le temps devient plus oppressant, alors j’essaye de le détourner.

Le nom de votre compagnie est 1 des si. Pourquoi revendiquer l’indécision ?
Je n’y accorde pas énormément d’importance. L’indécision a été mon début de vie, et de tous ces si, il a fallu un réaliser un. J’y trouve mon compte. Je me suis aperçu que tout pouvait participer en termes d’influence et nourrir le travail, tout avait un intérêt, et me permettait d’approfondir la réflexion.

Est-on plus créatif lorsqu’on a le temps ou lorsqu’on en manque ?
Perso, et c’est une vraie confidence, je peux vraiment bien marcher quand je suis pressurisé, à l’arrache, et quand il faut faire le truc pour demain. Mais c’est un gros défaut que j’ai appris à nuancer. Maintenant que devient une plus grosse usine, avec plusieurs projets qui marchent en même temps, c’est un peu une bataille. Et puis, il y a toujours une part inconsciente des choses qui se mature en amont.


Les actions de la saison

Artiste associé pour deux saisons, Etienne Rochefort présente à Pole-Sud ses créations et mène aussi une série d’actions envers différents publics. Lui et les danseurs de sa compagnie animent ainsi de nombreux ateliers de pratique artistique avec des étudiants, des élèves d’élémentaire, de collège et de lycée. Ils sont toujours en lien avec des spectacles, notamment avec Bugging, la nouvelle création. « En vieillissant, ont commencé à naître des questions plus politiques. Je travaille beaucoup en direction des publics, sur le fait qu’ils soient déconnectés des salles de théâtre, que les publics de ces lieux ne se renouvellent pas. Le projet de Bugging est lié à la réflexion sur les réseaux sociaux, c’est d’abord une mini-série dont le spectacle sera le dernier épisode. On y évoque des questions liées à la collapsologie, à un système tellement compliqué qu’on n’arrive pas à le gérer. Et ça parle à tout le monde. »

Bugging, du 27 au 29 avril 2022 à Pole-Sud


Par Sylvia Dubost
Photos Jésus s.Baptista

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