Vous avez choisi de donner à vos deux personnages le prénom des acteurs qui les incarnent. Pourquoi ?
Ce n’est pas moi qui l’ai choisi, c’est eux qui l’ont proposé. Aujourd’hui quand on m’en parle, je me rends compte que ça a été très important pour moi. Parce que le film était très intime et le fait de savoir que je pouvais les appeler par leurs prénoms m’éloignait de moi. J’interprète le fait qu’ils m’aient proposé cela comme un mouvement de soutien, une manière de me dire : « On est avec toi ». Ça m’a beaucoup touché. Sur le plateau de tournage, j’avais de nouveau à faire à des affects que j’avais un peu enfoui. Grâce à Damien et Leïla j’ai pu y avoir accès mais de manière beaucoup plus vivable qu’enfant ou adolescent.
La victime collatérale de cette maladie c’est aussi Amine. Vous filmez différentes scènes dans lesquelles on le voit assis à l’arrière de la voiture. Au fil de l’histoire, son visage se ferme, il parle de moins en moins.
Oui, Amine est témoin. Et quand sa mère finit par lui poser des questions, il ne répond plus. Ces deux personnages me touchent beaucoup, ils luttent pour ne pas être figés dans une identité. J’espère que le film laisse voir quelque chose d’un apprentissage de tout ça. Car mon père m’a aussi appris des choses, déjà il m’a amené à une interrogation sur le sens de la nuance et l’importance de l’éloignement de la passion. Pour créer en tant qu’artiste, il y a parfois une nécessité de s’approcher d’états extrêmes mais on ne peut pas y rester, sans quoi on fait un mauvais film. Il y a 30 ans quand je suis entré en psychanalyse, je me suis effondré. J’ai pleuré parce que tout d’un coup, j’ai admis avoir peur de découvrir que j’étais bipolaire. Il y a ça aussi dans la bipolarité, on dit que c’est génétique, qu’il y a une transmission. J’étais très effrayé. Je n’ai jamais eu d’épisodes maniaques, je ne pense pas que je sois bipolaire, sinon je n’aurais pas réussi à faire des films.
L’amour peut-il résister à la maladie ?
Si l’amour pouvait résister à la maladie, ça se saurait et on s’en sortirait tous. Les films peuvent nous faire réfléchir à ce qui fait que ça dérape ou pas. Ils nous permettent sans devoir vivre quelque chose de trop âpre de nous interroger sur la question des limites.
Propos recueillis le 9 septembre dans le cadre de l’avant-première des Intranquilles au cinéma Star St-Exupéry
Les Intranquilles de Joachim Lafosse, sortie le 29 septembre 2021.
Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat