Atteinte de syllogomanie, Louise est une accumulatrice compulsive. Sa névrose est difficile à cacher tant elle prend de place mais on découvre rapidement que chaque personnage possède ses aliénations et que les moins visibles aux premiers abords sont certainement les plus dangereuses.
Sébastien Marnier : D’emblée, la névrose de Louise prend beaucoup de place, comme son personnage. Louise est très extravagante, volubile, elle change de tenue à chaque scène. Sa névrose est très visible et celles des autres sont plus souterraines, elles se révèlent au fur et à mesure. Ce qui est sûr, c’est que c’est la folie qui unit cette famille. La maladie de Louise est à la fois une parabole politique et c’est par le geste visuel de metteur en scène que je raconte la folie de ce personnage mais aussi sa détresse puisqu’on comprend que Serge, son mari, lui a toujours interdit de travailler et qu’elle a trouvé dans l’absurdité de l’accumulation un moyen d’occuper son temps, mais surtout de survivre.
Jacques Weber : La névrose de Louise, c’est la névrose du monde. Il nous en faut toujours plus. Maintenant, on commence à nous dire qu’on doit faire le contraire. C’est hyper symbolique. Ce que Louise a amassé ne va pas bouger, par contre les personnages sont d’une fragilité extrême, ils peuvent être chassés du jour au lendemain.
Jacques Weber : « En ce moment, on peut dire que le patriarcat se tape un AVC »
Dans votre film, on retrouve de nombreuses références cinématographiques, de Brian de Palma à Hitchcock ou John Carpenter. Un hommage au cinéma ?
Sébastien Marnier : J’ai eu envie de me faire plaisir. La séquence d’ouverture est très clairement calquée sur Carrie de Brian de Palma, mais le reste n’est pas si précis. En tant que réalisateur, notre vie est liée au cinéma, on mange du cinéma, on le digère, on l’analyse, on est traversé par les influences. Donc oui elles sont là, mais elles ne sont pas si explicites.
Les femmes sont représentées en supériorité numérique et mènent dans une forme de sororité, une action collective contre le seul homme de la famille. Est-ce un pied de nez au patriarcat ?
Sébastien Marnier : Une des origines du mal était la figure du patriarche et du patriarcat en général. J’avais envie de faire un film sur la famille à travers des personnages féminins, pour créer toutes ces relations de sœurs, de demies-soeurs, de petite-fille, d’amantes. Dans mon film, la sororité a une grande importance, ce sont les personnages d’une même famille et en même temps de la manière dont j’ai filmé et dirigé, tout le monde pourrait coucher avec tout le monde. Je voulais donner au film un aspect politique à travers la question de genre et la fin de ceci.
Jacques Weber : Dans tout le théâtre classique, ce sont souvent les femmes qui sauvent le coup. Contre le père ou le maître. Regardez Elmire dans Tartuffe, les soubrettes de Molière, ce sont elles qui sauvent la famille, dans Marivaux c’est la même chose. C’est très important de se rendre compte que de très grands auteurs ont senti l’extraordinaire fragilité du pouvoir masculin, que c’était un leurre, qu’il y a quelque chose qui n’allait pas là-dedans. C’est très souvent les femmes qui reprennent en charge le monde, pourquoi ? Parce que c’est elles qui le génèrent, qui l’enfantent. Dans le film, Serge en prend plein la figure, en plus il vient de faire un AVC. En ce moment, on peut dire que le patriarcat se tape un AVC.
Véronique Ruggia : Il y a un côté burlesque. Dans le film, nous sommes sur des fausses pistes, on pense des choses et soudain c’est autre chose, on est sur un sol mouvant. J’aime ce cinéma, celui où, comme dans la vie, on ne sait pas où on va. Ce film décrit la fin d’un monde qui est en train de s’écrouler sans savoir où on va et comment on va le faire.
L’origine du mal, de Sébastien Marnier, sortie le 5 octobre.
Propos recueillis le mercredi 21 septembre dans le cadre de l’avant-première de L’origine du mal, à l’UGC Ciné Cité de Strasbourg.
Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat