Dans l’histoire, si les équilibres amoureux se retrouvent menacés, celui du duo de créateurs (même de l’amitié) est également touché. Et ça, Joseph Safieddine et Thomas Cadène, habitués au travail en binôme, y sont régulièrement confrontés : « Il y a ce parallèle avec le couple de travail qui nous intéresse beaucoup. Quand on se fait des infidélités en travaillant sur d’autres projets avec d’autres auteurs, on est content pour l’autre, mais ça nous fait un petit pincement au cœur…, confie Joseph Safieddine. Ce sont des choses qui existent. Il faut qu’il y ait de la confiance dans ce genre de rapports. On a aussi voulu écrire une belle histoire d’amitié, parce que ces milieux-là, ça se fighte, ça s’aime, ça se fait la gueule, ça se retrouve, c’est hyper intime en fait. Ce rapport-là dans la création est passionnant. »
L’esthétique comme trait d’union
Alors que les deux scénaristes planchent sur la BD, ils font appel à Benjamin Adam pour le dessin et l’invitent à apporter sa touche au récit. Toujours très précis, autant dans le trait que dans la narration (il suffit de feuilleter UOS sorti aux Éditions 2024 ou son cousin Soon co-écrit avec Thomas Cadène, pour le comprendre), il a pointé les manques et mis l’emphase sur la relation de travail des deux personnages. Elle se matérialise par l’apparition de phases de travail à la table – les fameux carnets – qui permettent de saisir les liens entre la série et la BD. Dans le même temps, Adam a travaillé plusieurs styles de dessins pour accentuer encore l’impression de récit dans le récit. Ainsi, le quotidien de Sasha et Hector est en traits directs, vifs et relativement simples, quand les aventures et délires de William, le séducteur, sont tout en rondeur, en psychédélisme et librement inspirés de l’univers de Guy Peellaert.
Par le dessin, les ruptures se succèdent jusqu’au point de bascule : sur une planche, Benjamin Adam fait intervenir les personnages de la série dans la BD recourant au style réaliste. Ce moment crucial du récit, « clivant » même selon Benjamin Adam, incarne pourtant une passerelle directe vers la série. « J’ai toujours cherché à traduire graphiquement toutes les idées du récit : le côté direct de la vraie vie, la version voluptueuse avec William, qui m’a permis d’aller vers des choses et dessins que je fais de mon côté, d’être plus libre, de jouer avec les proportions et les déformations, de montrer des carnets, d’intercaler des passages d’heroic fantasy [la commande BD sur laquelle travaille les personnages, ndlr]… Tout ce jeu était chouette et très intéressant. »
Que ce soit l’aspect transmédia du projet, les choix de narration et de dessins, Fluide fouille ses sujets, les incarne et leur donne du sens mais surtout, brillamment corps. Chapeau.
La BD
La web série
Par Cécile Becker
Les propos ont été recueillis lors du passage des trois auteurs à la librairie Ça va buller le 24 avril 2021 pour présenter Fluide, mais aussi UOS sorti aux Éditions 2024