BBCC,
schizophrénie à l'état dur

À l’occasion de la sortie de leur nouvel album Altered States of Consciousness, nous avons rencontré une partie du sextuor strasbourgeois BBCC. Antinomique jusqu’au bout des cheveux du charismatique Adrien Moerlen, le groupe a su s’enrichir des paradoxes : entre équilibre et déséquilibre, mysticisme et rationalité, noirceur et gaieté, timidité et excentricité.

Le groupe BBCC de Strasbourg.
Ce qui est sûr, c'est qu'on rigole bien avec les BBCC. De gauche à droite : Sébastien Metzger, Stephan Nieser, Francesco Rees, Adrien Moerlen, Anne Ahlers et Paul-Henri Rougier.

À peine ont-ils foulé le seuil de la vitrine chicmedias que déjà le rire communicatif d’Adrien Moerlen, la tête pensante du groupe BBCC, envahit l’espace. Un peu intimidé, chacun prend ses aises et s’installe autour de la table. Première question : « BBCC ou BangBangCockCock ? » « Maintenant, c’est BBCC. C’est plus soft, c’est un peu moins con », répond Adrien amusé. Notre « politiquement correct » nous empêche de vous en donner la traduction littérale, mais une version censurée et proposée par son label (l’excellente écurie October Tone d’où est également issu Hermetic Delight) nous met sur la piste : pan, pan, cul, cul… Un mot d’ordre : l’humour. Parce que c’est bien ce qui semble caractériser le mieux cette « communauté » de six trublions fantasques qui ont enfanté d’un nouvel album déjà encensé par France Inter et la revue Magic.

Nouveau disque, nouvelle démarche. Tandis que Heindentum se caractérisait par une accumulation de couches et d’effets, sorte de « gâteau à la crème tartiné » – ce sont eux qui le disent –, Altered States of Consciousness est plus brut, plus sec, plus conceptuel. En charge du mix de l’album, T/O (made in October Tone également) a apporté une précision d’orfèvrerie au nouveau son des BBCC, plus homogène. À dire vrai, ses choix ont guidé le virage musical du groupe. « Nous étions arrivés à un point où nous ne savions plus du tout vers où nous voulions aller donc je lui ai dit : « vas-y, éclate-toi« , explique Adrien. Il a pris le contre-pied en inversant les équilibres des morceaux, en prenant des libertés : rajouter des synthés ou des boucles, couper des éléments qui lui paraissaient superflus etc. Il avait un parti pris radicalement différent et nous avons continué sur cette lignée. »

« Adrien, c’est un peu la colonne vertébrale à laquelle nous venons nous greffer. »

Ce qui ne change pas, c’est bien le paradoxe identitaire de leur musique : entre une noirceur équivoque et un cynisme risible, une absurdité assumée.

De la noirceur…

Des armes à feu comme métaphore de la virilité excessive de certains hommes ou de la recette du bonheur à la dépression sur Happiness : nous sommes bien loin d’une douce et paisible rosée matinale. Se considèrent-il comme des artistes engagés ? Pour le meneur du groupe, il s’agirait plutôt d’une « critique de certaines personnalités assez abusives, mais il n’y a pas de combats politiques ou idéologiques. »

Que dire des sonorités ? Inqualifiable, leur musique est aussi entraînante qu’angoissante. Du kraut, au rock en passant par la new wave et la pop psyché, les références fusent. Quant aux paroles, elles cristallisent parfaitement le second degré qui les définit si bien : entre sidération et guignoleries, personne n’y comprend rien mais tout le monde tripe. Engagés, peut-être pas donc, mais dérangés, ça oui.

Selon Francesco, le secret pour faire de cet éclectisme une perle musicale est sans nul doute Adrien : « Il ne voudra pas le dire mais c’est lui qui compose au départ. Même si chacun apporte son grain de sel, il a une identité assez forte. Il est un peu la colonne vertébrale à laquelle nous venons nous greffer. »

…Mais pas trop non plus

Fascinés par le mysticisme et les hippies, leurs clips s’en ressentent et permettent d’ajouter aux morceaux une dimension visuelle. Captivante, l’imagerie proche du freak show de How the fuck did she survived to the nuclear holocaust – réalisé par la talentueuse Laura Sifi –, nous plonge dans les tréfonds d’une réunion d’adeptes un peu loufoques mais étrangement impassibles, avec Adrien en gourou-présentateur télé.

« J’aime qu’il y ait un fond noir mais que ce ne soit pas trop sérieux, qu’il y ait toujours une petite touche un peu absurde et cynique » dit-il. Les teasers de la sortie de l’album réalisés maison et mettant en scène l’hilarant Gunther Lancelot, sorte d’alter-ego folklorique du chef de file, témoignent de cette absurdité à cheval entre le kitsch et la satire désormais indissociable de l’esprit BBCC. À regarder sans modération.

Entre le yaourt et les phrases clownesques telles que « Eleonor, make me a sandwich » ou encore « She loves you, yeah, yeah, yeah », les textes dépassent tous les modèles institutionnels. « C’est nul, ce n’est pas brillant en termes d’écriture, mais ça sonne bien. », confesse Adrien Moerlen en se marrant. Pour Stefan, le guitariste du groupe, c’est aussi une manière de « s’excuser d’être trop sérieux ».

Finalement, cette singularité paradoxale et assumée, entre noirceur et absurdité, n’est pas seulement le propre de leur musique. Au contraire, individuellement comme collectivement, ils sont aussi surprenants et burlesques que leur dernier album.

Altered States of Consciousness : un petit bijou à écouter immodérément.

En bonus : l’interview nimpe de BBCC (on est d’accord, le son est un peu…disons… pourri ?) avec Paul-Henri et Adrien. Le concept de l’interview est bien connu (suivez notre regard), les questions glissent sur la fin vers un petit n’importe quoi qui colle assez bien à l’esprit du groupe strasbourgeois.
Promis, on fera mieux la prochaine fois.