Hermetic Delight,
le coming out pop

À l’occasion de la sortie de leur premier album, emmené par le passionnant label October Tone, nous avons visio-rencontré le groupe strasbourgeois Hermetic Delight. Plus connus pour leur touche underground, aux confins de la shoegaze et du post-punk, ils amorcent avec F.A. Cult, un virage mélodique voire carrément dansant. Paradoxalement, cet ancrage pop leur a permis une radicalité dans la construction de leurs morceaux. Un album qui brille dans la pénombre d’une sombre période : « Une lueur d’espoir dans un paysage pessimiste. »

Les quatre membres du groupe Hermetic Delight. Photo : Philippe Mazzoni
"Nos textes sont un mélange entre autobiographie et petites histoires." Zeynep Kaya. Photo : Philippe Mazzoni

Il vous a fallu trois EPs pour aboutir sur F.A. Cult, qu’est-ce qui justifie tout ce temps ?
Atef Aouadhi : Ce n’était pas réellement un choix mais ça donne une idée de notre temporalité de gestation. Nos personnalités, nos caractères sont très différents et en même temps, l’idée n’est pas de seulement « pondre » un album. Ce que l’on souhaite, c’est créer une musique intemporelle, universelle, avec du sens. Parfois, ça a du sens d’être lent et de ne pas produire.
Zeynep Kaya : Pour F.A. Cult, nous avons investi beaucoup plus d’énergie que sur les derniers EPs. En tant que groupe indépendant, il y a autant d’énergie à mettre dans le budget que dans la création. Il a fallu tout planifier financièrement, trouver le moyen d’enregistrer, etc. C’est aussi pour cette raison que ça nous pris du temps. On aurait pu sortir quelque chose plus rapidement, mais nous voulions le faire à notre façon, avec la meilleure qualité sonore possible.

Au fil des EPs et sur cet album-là, on sent qu’une recherche sonore s’échafaude. Sur F.A. Cult, sans parler d’album de la maturité évidemment, vous semblez avoir trouvé une voie, un son qui vous est propre.
A.A. : En effet, cette recherche nous a menés là où nous en sommes aujourd’hui. Nous n’avons pas de style précis et pointu. Nous allons piocher dans tout ce qui nous donne envie. Cela crée quelque chose de très varié. L’important est que l’on arrive à encapsuler toutes ces variations dans une chose homogène qui ne sonne pas comme un patchwork. Pour trouver un son qui fonctionne, il faut fouiller, chercher et cela prend du temps.
Z.K. : Le fait que nous ayons enregistré ce son nous-mêmes, dans nos studios, a aussi joué un rôle. Ça nous a permis d’expérimenter davantage, notamment car nous n’avions pas de limite de temps pour enregistrer. Tout ça nous a peut-être rendu plus libre. Évidemment, le fait de travailler avec Charles Rowell du groupe américain Crocodiles nous a aussi aidés. Il a parfaitement capté où nous voulions aller, et en même temps, a apporté sa touche.

« Le problème de la musique underground, c’est qu’elle reste là où elle est, elle est critique et obscure. »
– Atef Diamond

Vous parliez de la patte de Charles Rowell, quelle est-elle ?
A.A. : Selon moi, c’est grâce à lui que nous avons fait les choses à fond. C’est vraiment une personne radicale. Si nous avions tous potentiellement cette radicalité, il nous a aidé à la faire ressortir. Il était très encourageant. Son talent, c’est surtout de nous avoir compris. C’était comme si chacun d’entre nous avait été dédoublé et que nous avions des conversations avec nous-mêmes, il a été notre miroir. On lui doit peut-être cette pop plus solaire.

On vous connaissait dans des recoins plus sombres, plus lyriques. Il semblerait que F.A. Cult soit plus ancré dans une pop assumée, avec de beaux hommages aux années 1980. Pourquoi ce changement ?
A.A. : C’est un coming out. Moi, je le vis comme ça en tout cas. J’ai l’impression que les groupes undergrounds n’ont pas le droit de faire de la pop, parce que la pop c’est pour la fm, c’est de la musique commerciale, Beyoncé, etc. J’ai réalisé que cette fracture, nous en étions tous responsables : en ne participant pas à la pop, nous lui tournons le dos et sommes dans l’impossibilité de se l’approprier. Pourtant, tout le monde en écoute. Alors oui, j’ai l’impression d’avoir fait un coming out. Je me suis dit : « J’aime la pop et je veux en faire une qui nous ressemble. Une pop authentique, qui ne compromet rien, qui est universelle. » Le problème de la musique underground, c’est qu’elle reste là où elle est, elle est critique et obscure. C’est dommage, cette musique aussi mérite d’être plus visible, plus exposée. Nous, nous voulions ouvrir la porte.
Z.K. : Inconsciemment, je pense que nous désirions éclaircir nos vies, nos pensées. Vow était très noir en termes de point de vue sur le monde et le futur. F.A. Cult est plus lumineux. Il donne envie de danser, de prendre les choses plus légèrement. Nous voulions profondément faire un album qui respire.
A.A. : La pop nous a permis d’être plus radicaux. J’ai réalisé que le canevas de la pop était idéal parce qu’il permettait paradoxalement, de ne faire aucune concession. Aller à fond dans une direction, à chaque fois, à chaque morceau. Ça donnait l’opportunité d’avoir tout le tableau, toutes les nuances et variations.

Sur F.A. Cult, vos univers respectifs se complètent mieux qu’auparavant. Votre manière d’interagir les uns avec les autres a-t-elle évolué ?
A.A. : En tant que compositeur principal de ce disque, ce qui m’a permis de créer une musique qui nous ressemble davantage ce sont les années. Aujourd’hui, je connais mieux que jamais les membres de ce groupe. Quand je propose une mélodie vocale à Zeynep, il y a plus de chance que ça tape juste et qu’elle s’y retrouve. Tout cela, c’est finalement de l’écoute. La maturité, c’est aussi dans les relations humaines, pas uniquement dans l’écriture.
Z.K. : Quand Atef m’a fait écouter le premier morceau de l’album, j’ai eu la sensation d’entendre véritablement ma voix. Je me suis sentie plus libre dans l’interprétation. Et puis, le départ de Geoff, nous a poussé dans un traumatisme dont nous sommes finalement sortis plus proches que jamais, notamment dans l’écoute. Il y a aussi plus de place pour chacun donc peut être que ça joue.

Je rebondis sur ta voix Zeynep car il y a eu véritable travail sur celle-ci. Nous te connaissions plus viscérale et primaire. Maintenant, ça se pose, c’est plus élégant.
Z.K. : Dans les autres albums, j’étais dans une époque plus cash. Maintenant, j’ai davantage envie de raconter des histoires, d’être dans du storytelling.

Et Delphine, quelle est ta place dans tout ça ?
Delphine Padilla : De la même manière que Zeynep, quand je sens que la composition me correspond, cela me permet de rentrer dans ce que je suis réellement, de personnifier mon univers. En termes de compositions pures, j’apporte ce que je peux de mon moi intérieur, de mon âme.
A.A. : Finalement, lorsque je propose une rythmique à Delphine, même si elle la reproduit, elle va aussi totalement changer le résultat. C’est son jeu, sa patte et sa façon d’exécuter la chose. Il va jaillir quelque chose qui n’est pas initial à ma partie créative.

Qu’en est-il du travail de la langue ? Pour Le Parfum de la Nuit, Zeynep, c’est la première fois que tu chantes en français. Il y a également le turc dans Rockstalari. Pourquoi ce mélange des langues ?
A.A. : L’anglais est pour nous une logique disciplinaire. C’est la langue du rock. Le français et le turc pour le coup, sont deux évidences que nous avons embrassées pour la première fois avec F.A. Cult. Cela fait partie de ce coming-out : nous avons tenté d’être au plus proche de ce que nous sommes : turcs, français, anglais, tout ça à la fois.
Z.K. : Avant, j’écrivais toujours en anglais car c’était la langue dans laquelle je me sentais la plus à l’aise et qui sonnait avec la musique que je voulais faire. Les langues ont leurs caractéristiques linguistiques et leurs sonorités m’inspirent. Le turc n’est pas une langue facile à accoler au rock. Un jour, il y a eu un morceau, une mélodie et en l’analysant, ça sonnait parfaitement avec le turc. Pour le français, c’était quelque chose que je n’avais jamais osé. Mon choix s’est d’abord fait par rapport aux sonorités du morceau.

Qu’est-ce qui vous inspire dans l’écriture des textes ?
Z.K. : Les paroles de Glassdancers par exemple, ont vraiment été inspirées par le film Bande de filles [de Céline Sciamma, on se souvient d’ailleurs avec émotion de la scène de danse dans la chambre d’hôtel sur Diamonds de Rihanna, ndlr] que j’avais vu. How High Is Your High est un morceau qui traite de ces femmes, de ces jeunes engagées qui décident de consacrer leur vie à une cause pouvant les tuer. Quant à These Quantic Feelings, ce titre parle de ces petits sentiments éphémères qui naissent de rencontres fortuites. Finalement, nos textes sont un mélange entre autobiographie et petites histoires.

Parlons de danse. À l’écoute, j’ai ressenti comme une envie de mettre en mouvement les corps, d’inciter à la danse. C’est un changement assez majeur par rapport à ce que vous faisiez avant.
A.A. : À titre personnel, mon expérience de DJ avec Rachid Bowie m’a fait réaliser que lorsque tu appuies sur un bouton, tu peux déclencher des corps. Je trouve ça fascinant, et je me suis dit que je pourrais tenter l’expérience avec mon groupe. Avant, dans l’ambivalence du Hermetic et du Delight, il y avait le clair-obscur. Maintenant, nous pourrions presque parler de planant et de dansant. La danse aujourd’hui, fait partie de ce que nous voulons faire.

Delphine, la danse a-t-elle changé ton jeu ?
D.P. : Ça m’intéresse depuis toujours. Selon moi, la batterie est assez visuelle, elle prend de la place donc il y a quelque chose à regarder. Personnellement, je pense qu’un spectacle c’est autant visuel qu’auditif.
Z.K. : Delphine danse avec la batterie !

Sortir un album en pleine crise sanitaire, ça implique quoi ?
A.A. : C’est schizophrène. Il y a une hâte, une impatience, une appréhension, une sorte d’angoisse. Comment va exister ce disque ? Nous ne le savons pas vraiment. Nous avons dû faire le deuil du live et ça a vraiment été quelque chose de difficile. Nous voulions défendre notre disque sur scène, retrouver notre public avec cet album. Nous avons malgré tout sorti l’album parce que pour moi, une œuvre d’art a aussi un contexte. Finalement, peut-être qu’il a encore plus de sens maintenant, comme une lueur d’espoir dans un paysage pessimiste. Stratégiquement, est ce que ça aurait été mieux plus tard ? Je ne sais pas. Nous avons opté pour un parti pris en faveur de l’objet artistique.

La playlist d’Hermetic Delight

Zut a demandé aux membres du groupe de concocter une playlist éclairante sur les inspirations qui parcourent F.A. Cult. Vous n’avez pas Spotify ? Elle est aussi écoutable sur YouTube.


Hermetic Delight, F.A. Cult
Album disponible sur le label October Tone
Et sur les plateformes de streaming


Propos recueillis par Cécile Becker
Retranscription : Lucie Chevron
Photo : Philippe Mazzoni