Sinaïve : l’art et la matière

Faute de concerts, les détonnants et déroutants Strasbourgeois de Sinaïve occupent le terrain avec Dasein, un premier EP en vinyle et une cassette composée de reprises et d’adaptations allant de Kraftwerk à Curtis Mayfield. La révélation est en marche.

Sinaïve
Sinaïve @ Mathieu Wernert

La question leur a été posée au travers de l’impeccable fanzine Parklife 061 : « Le français, un choix assumé et naturel ? ». Eux avaient répondu sans détour : « Oui, il faut toujours chanter dans la langue dans laquelle on jure ». Assez logiquement, Zut a voulu savoir si les quatre personnages de Sinaïve vitupéraient autant que leurs guitares. « De moins en moins, reconnait Calvin, le chanteur et guitariste du jeune groupe strasbourgeois. On en a moins l’opportunité, on boit moins et on se voit moins. » 

On devine que le quatuor, localisé dans le quartier de la gare de la capitale européenne, est aujourd’hui davantage enclin à ronger son frein par rapport à la crise sanitaire. « C’est très frustrant et ça fatigue parce qu’on continue de répéter, poursuit Calvin. Le but, c’est de s’entraîner pour ensuite défendre des choses en public et là ça n’arrive pas. On commence même à s’épuiser. Après, on essaie de ne pas se plaindre car on n’est pas les seuls dans ce cas ». Leur dernier vrai concert remonte au 15 février 2020 pour un concert de soutien au mouvement social contre la réforme des retraites au Molodoï. Alaoui, le bassiste, regrette aussi « le manque de perspectives » bien que le « sentiment d’avancer » demeure.

Sinaïve
Sinaïve © Christel Schimmel

« Trouver une esthétique nécessite une forme d’engagement »

La preuve avec la sortie de Dasein, leur premier EP en vinyle sur le label parisien Buddy Records (En attendant Ana, Os Noctàmbulos…). Sa pochette représentant de la neige cathodique illustre assez bien la ligne de conduite de Sinaïve pour qui le fait de vouloir régler la mire semble plutôt accessoire. Parfois bruitistes, tantôt acoustiques mais toujours envoûtantes, leurs compositions, qui tendent parfois vers les premiers mouvements de The Jesus & Mary Chain, sont également solidement ancrées dans un environnement bien réel. « On essaye de créer des hymnes qui font écho à notre vécu à Strasbourg », révèle Alaoui. La formation, qui avoue un penchant pour les groupes dont le nom commence également par un S (Smiths, Siouxsie, Spacemen 3, Suicide, Stooges…) brille aussi dans le brouillage de pistes dans la lignée de KG.

Courant février, Sinaïve publie une cassette de reprises qui accompagnera le nouveau numéro de Groupie, le fanzine de Renaud Sachet. Jean-Louis Murat, Diabologum, Alain Bashung, Kraftwerk et une étonnante adaptation de Move On Up de Curtis Mayfield figurent, entre autres, sur la tracklisting de l’objet. Le tube du compositeur soul est ici revisité avec un texte d’Olympe de Gouges qui correspond aussi à l’arrivée, en 2018,  de Raphaëlle (voix, percussions) et Alicia (claviers, percussions) au sein d’un groupe qui ne fait guère mystère de son engagement. « De fait, on est engagé dans notre ville, on doit bouger, on doit avancer, précise Alaoui. Trouver une esthétique nécessite une forme d’engagement ». Deux autres critères sautent aux yeux de Calvin : « Ne pas être cynique et faire le moins de chansons d’amour ». Et un maximum de concerts dès que possible.


Par Fabrice Voné