Potiers d'Alsace : L'Art et la Matière #2

Cette dernière décennie, la fermeture d’ateliers de potiers faute de repreneurs a sonné l’alerte d’une possible disparition de cet artisanat ancestral. En parallèle de la création d’une IGP dédiée aux poteries d’Alsace, les initiatives fleurissent pour apporter de la visibilité aux artisans, réintégrer les produits de la poterie dans le quotidien et favoriser les échanges entre design et artisanat.

Photo : Cyrille Fleckinger — Alexis Delon / Preview
© Cyrille Fleckinger — Alexis Delon / Preview

La Communauté Européenne d’Alsace, très attachée à l’identité régionale, a constitué un groupe de travail pour réfléchir aux soutiens à apporter au secteur. Christelle Isselé, l’élue référente de ce territoire, suit ce projet qui lui tient particulièrement à cœur, puisqu’elle habite Soufflenheim. « Il y a une volonté forte de pérenniser le savoir-faire potier pour préserver un artisanat emblématique. » Après l’organisation d’un marché des potiers à Strasbourg en 2019, à Colmar en 2021, la collectivité mettra à nouveau sa logistique au service d’un marché de 2 jours en 2022. « Cela permet de capter à nouveau la clientèle locale, qui a perdu l’habitude de se rendre dans les deux villages. » Un fonds d’innovation territoriale, le financement d’études, des outils de communication digitale illustrent différentes facettes de ce soutien à l’artisanat potier. D’autres institutions se mobilisent aussi en lançant par exemple des appels à projets. C’est le cas du Parc Naturel Régional des Vosges du Nord qui faisait le pari en 2018 de nouer un dialogue entre un artisan, un designer et un musée pour créer une collection de 10 objets inédits à vendre dans ses musées.

Les moules à kougelhopf revisités du projet Koug
Le projet Koug a donné naissance à 10 moules à kougelhopf revisités © DR

Innover avec des designers

Sonia Verguet a créé pour l’occasion son pichet Métis, une poterie du quotidien, à la croisée de la porcelaine bourgeoise et de la vaisselle rurale. L’objet représente un beau succès commercial pour cette designer culinaire, très attachée à l’usage des objets et à l’évolution des traditions. Autrice du livre 100 coolglofs qui propose 100 recettes originales pour utiliser autrement son moule à kouglof, elle milite pour tous les décloisonnements. « Toutes les familles alsaciennes ont un moule à kouglof ou une terrine à baeckeoffe dans leurs placards. Pour leur redonner envie de les utiliser, il faut inventer de nouvelles recettes, faire des pas de côté. » Mais derrière ces moules, il y a des potiers très attachés à leurs traditions, qui rechignent parfois à remettre en question l’esthétique et les usages de leur produits. « Le manque de temps, le manque d’envie et les difficultés de rapprochement entre artisans et designers freinent la remise au goût du jour de la poterie traditionnelle alsacienne », regrette Sonia. Avec l’association IDeE et une quinzaine de designers, elle essaie de faire bouger les lignes pour construire des ponts entre artisans, industriels et designers. Lors de deux workshops annuels, ils planchent sur un objet ou un matériau local. Leur premier projet en 2007, baptisé Koug, avait donné naissance à 10 moules revisités. « Un seul potier, Pierre Siegfried, a accepté de produire le minikoug de Jean-Luc Weimar, qui a connu un grand succès commercial. » Depuis, il reste très ouvert à ces collaborations et a même fabriqué un lombricomposteur en poterie avec Ferdinand Fraulob, récompensé par une bourse Tango & Scan, qui soutient des porteurs de projet issus du secteur créatif.

Mais alors où sont les freins à ces rapprochements entre artisans et designers ? « Quand un potier sort de sa gamme esthétique habituelle, il a l’impression de ne pas connaître la clientèle, ni le réseau de distribution, explique Sonia Verguet. Pour que le dialogue s’engage et que la relation fonctionne, soit le potier se positionne comme fournisseur avec un cahier des charges précis, soit le travail est vraiment engagé à 4 mains. Là, la collaboration peut être énergisante pour les deux, elle permet à chacun de faire son métier de manière joyeuse, de ne pas s’ennuyer dans son métier. »

Une belle façon de faire projet

Harmonie Begon partage, elle aussi, une belle histoire avec la poterie Ernewein-Haas. Formée à la HEAR, elle a une vision « politique » de l’artisanat et du design et il était hors de question d’instaurer une relation hiérarchique entre le designer qui pense et l’artisan qui fait. « L’artisanat est une alternative locale, raisonnée et créative à une production d’objets standardisés. En tant que designers, nous sommes des outils pour aider à revisiter la tradition, avoir un impact sur de beaux objets et trouver des nouvelles clientèles. » Après sa rencontre avec Jean-Louis et son fils Jonathan, elle a travaillé à l’atelier de poterie, un peu comme une ethnologue, pour documenter toutes les étapes du travail. « C’est une poterie rurale, traditionnelle, utilitaire, qui se façonne avec de la terre locale. La poterie de Soufflenheim excelle en cuisine. Il faut la réintégrer à notre quotidien, pour faire perdurer le savoir-faire. » Avec sa vision très humble du travail de designer, qui se met au service du potier, elle a d’abord travaillé un mois à leurs côtés comme ouvrière potière. « Harmonie a de bonnes idées, elle a piqué ma curiosité. J’aime travailler avec elle, car sait prendre son temps, elle n’est pas arrivée avec des idées préconçues », explique Jean-Louis. Ensemble, ils ont décroché un financement Tango & Scan de 15 000 €, et mis en place une collaboration éthique, qui rémunère l’apport de chacun, en tenant compte des contraintes de coût et de production du potier.

Photo : Cyrille Fleckinger
Harmonie Begon est entrée comme potière dans l'atelier de Jean-Louis et Jonathan Ernewein-Haas avant de collaborer avec eux sur de nouvelles créations. © Cyrille Fleckinger

Sous la « marque » À demain Maurice, Harmonie autoédite des produits en petites séries, qu’elle achète à la poterie Ernewein-Haas à tarif négocié, puis elle gère elle-même la commercialisation de sa gamme. Elle travaille à partir de moules existants et apporte ses idées sur les décors, les couleurs, la forme d’une anse. « Nous avons trouvé un équilibre, une relation de confiance, qui nous satisfaits tous les deux. » Deux modèles de cocottes, des plats à gratin, des bols, des tasses et sa dernière création, les pichets parlants, séduisent une nouvelle clientèle dans quelques boutiques choisies. « Je cherche des revendeurs qui ont des valeurs et du sens, tels La Nouvelle Douane (pour sa proximité avec la cuisine), la Droguerie du Cygne (pour les beaux produits locaux), la boutique du Musée alsacien (pour le renouveau de la tradition)… » Riche de cette belle expérience humaine et professionnelle, Harmonie rêve de voir naître d’autres collaborations. « De telles initiatives doivent émerger d’un travail de terrain et pour être pertinentes, il faut demander aux artisans comment ils ont envie de travailler. Même si ça prend du temps ! »

Photo : Cyrille Fleckinger
La transmission des savoir-faire est un enjeu majeur pour les artisans potiers d'aujourd'hui © Cyrille Fleckinger

Ne pas tourner autour du pot

Pierre Siegfried, le président des Potiers d’Alsace, est aujourd’hui assez optimiste sur l’avenir. On parle d’une Cité de la Poterie, qui pourrait voir le jour à Soufflenheim d’ici fin 2025/2026. À ce stade de la réflexion, le projet est protéiforme et toutes les pistes sur la table avec des ateliers de poterie pour les particuliers et les scolaires, un centre de formation initiale et continue pour les potiers, un lieu de résidence d’artistes, un espace ressources avec une collection de poteries, d’outils et d’ouvrages sur la poterie, un espace de restauration pour boire et manger dans la poterie, une ouverture 7 jours sur 7 pour inscrire Soufflenheim dans les itinéraires touristiques… Cette vitrine de l’artisanat potier saura-t-elle répondre à tous les enjeux qui questionnent l’avenir de la poterie en Alsace : visibilité, débouchés et formation ? Sur le terrain, la réalité reste entachée par des fermetures d’ateliers, qui ne trouvent pas repreneurs. Ils ne sont plus que deux à Betschdorf. Il faudra rapidement se pencher sur cette question de la transmission des entreprises et des savoir-faire. Peggy Wehrling, de la poterie G. Wehrling & Fille, a connu ce poids sur ses épaules, quand elle a repris à 27 ans l’atelier de son père. « Je n’ai aucune envie d’imposer ça à mes enfants. Parce que c’est un métier où on travaille sans relâche. Il faut de la passion pour reprendre ce flambeau. Quand l’heure d’arrêter aura sonné, je n’aurai aucun frein à céder mon atelier à un jeune potier de talent, d’où qu’il soit. » Le dynamisme actuel qui agite le monde de la céramique, avec de jeunes créateurs qui n’hésitent pas à partager leur savoir-faire à des amateurs ou à des personnes en reconversion, pourrait faire naître des vocations et de beaux lendemains.


Sonia Verguet soniaverguet.com
Association IDeE
designers.alsace
Harmonie Begon
harmoniebegon.com / ademainmaurice.fr
Poterie Ernewein-Haas
alsace-poterie.fr
Pierre Siegfried siegriedburger.fr
Poterie G. Wehrling & Fille poterie-wehrling.alsace
L’association potiers-alsace.com


Par Corinne Maix
Photos Cyrille Fleckinger et Alexis Delon / Preview