Zut en piaffe pour Harmonie Begon

Designer et illustratrice, Harmonie Begon est fermement ancrée dans les traditions et les savoir-faire, et collabore durablement avec des artisans à travers sa marque À demain Maurice. Avec le CIAV, elle crée Piaf, la boule de Noël 2021. Sa démarche et sa personnalité ont à ce point séduit Zut qu’elle investit la Vitrine Chicmedias le temps du marché de Noël.

Série Timiel. De l'enquête de terrain aux formes d'un design situé, août 2017

Rencontrer Harmonie Begon au cœur de la tempête des tendances et de la frénésie consumériste remet les idées en place. Convaincue que l’artisanat est un « modèle de futur désirable », passionnée de sciences sociales, la designer strasbourgeoise a exploré les rapports entre design et artisanat, qui se sont longtemps regardés en chiens de faïence. Le premier, censé booster le second en lui apportant de nouvelles solutions, impose bien trop souvent une démarche verticale, « sans prendre en compte l’artisan », ana- lyse-t-elle. Le tableau est d’ailleurs familier : une marque d’aménagement intérieur commande des tapis tissés sous d’autres latitudes, se targue d’avoir contribué à l’économie locale, estampille sa production “artisanale” et le tour est joué : le consommateur a la sensation d’avoir fait une bonne action. « Cette vision segmente les choses : le designer pense et l’artisan fait. Son savoir-faire est exploité et son nom, souvent, n’est pas cité. Le designer arrive et repart, imagine un objet en petite série qui ne sera pas ou peu vendu, ou alors à un prix injuste ne tenant pas compte des contraintes de coûts et de production. »

Pichet parlant © Harmonie Begon

Une éthique de la collaboration
À ce prix-là, justement, qu’est-ce que les artisans auraient à retirer d’une collaboration avec un designer ? Pas grand-chose. Dans les écoles de design où elle intervient, Harmonie tente de démonter cette posture démiurgique. Elle a imaginé et éprouvé toute une éthique de la collaboration, se basant notamment sur une expérience vécue dans le cadre de ses études à la HEAR, avec Assia Yazghi, potière du village de Timiel, dans une région rurale du nord du Maroc. « On a co-construit sur le terrain. Tout part des interactions – ce que le design permet, d’ailleurs –, qui ont fait émerger beaucoup de problématiques : la condition de ces femmes potières qui, pour certaines, se font exploiter et sont très isolées, le manque de ressources et, en l’occurrence, d’électricité… Un objet ne sort pas de rien, il y a tout un contexte historique et social qu’on ne peut pas ignorer. » Elle développe une méthode de travail basée sur l’humain, n’arrive jamais avec un projet préconçu et passe par une période de recherche. L’observation est une manière de nourrir sa réflexion sur l’objet en tant que tel, qui, profondément lié à l’endroit où il a été fabriqué, vient servir sa vision de designer. Sa dernière collaboration en date, avec la poterie Ernewein-Haas tenue par Jean-Louis et son fils, Jonathan, à Soufflenheim, vaut pour exemple. « La première fois que je suis arrivée à la poterie, raconte-t-elle, Jean-Louis m’a envoyé paître en me disant que lui aussi était designer… » Intimidée, elle leur a expliqué sa démarche. Les trois premières semaines, elle les a passées à être ouvrière et à découvrir l’histoire de la maison. « Il a fallu que je lui apprenne, raconte de son côté Jean-Louis Ernewein-Haas. Et notamment la partie décor : on prend les objets et on les décore un à un, à la poire. » Cette attention, objet par objet, a mis la puce à l’oreille d’Harmonie. « Je me suis dit que si déjà on manipulait une à une les pièces, on pourrait proposer des anses et une décoration différentes sur chacune. »

Turbot de pays ikéjimé, poireau et jus de tête, illustration Harmonie Begon d’après une recette d’Alexandre Couillon

 

En découvrant sur une brocante de vieux pichets ornés d’expressions alsaciennes un peu lourdingues, elle échange avec Jean-Louis, et paf : les pichets parlants sont nés. Aux formes gourmandes et aux couleurs sobres, les pichets et leurs phrases débordent de malice. 20 pièces ont été produites. Elle réalise qu’elle n’a jamais été aussi épanouie que lors de son travail à la poterie. Elle monte un dossier Tango & Scan pour valoriser leur collaboration : 15 000 € pour aller plus loin. « Parce qu’il faut aussi parler de viabilité économique. » Pour elle, il est important de prouver que les collaborations peuvent déboucher sur des succès commerciaux. Ils planchent sur une collection d’objets et elle cherche des points de vente en cohérence avec leur démarche. Les concept-stores : non merci. Elle souhaite célébrer l’artisanat populaire et la simplicité. Leurs créations trouveront leur place au musée Alsacien, à la Nouvelle Douane, à l’Îlot de la Meinau ou chez Omnino.
Elle s’emploie aussi à valoriser les artisans avec lesquels elle travaille, notamment en termes de communication. Son souci de la collaboration bien faite a parfois tendance à déborder sur sa propre pratique. S’investir demande du temps, beaucoup de temps. On en revient à l’essentiel, au geste même de l’artisan. Dans la tradition, il y a peut-être autre chose à puiser que le savoir- faire : une véritable philosophie…


Harmonie Begon
À demain Maurice


Harmonie Begon ambiance Noël !

La créatrice de la boule de Noël 2021 du CIAV, c’est elle. L’aventure de Piaf a commencé après son diplôme à la Hear. « J’ai travaillé pour la matériauthèque du CIAV. Quelques mois plus tard, ils m’ont proposé de faire la boule 2021. Ce fut ensuite une année de ping-pong. »

Harmonie Begon investit la Vitrine Chicmedias le temps du marché de Noël.

Comme on est curieux, on a voulu savoir comment avait germé cette drôle d’idée : « Mon sujet est le rêve, la magie, tout a commencé par là et par l’envie de collaborer avec des oiseaux, volatiles et insaisissables. Je suis partie de cette contemplation que j’avais enfant en les regardant se nourrir sur les boules de graisses et de graines qu’on avait fabriquées. » C’est après avoir exploré la forêt et la nature autour du Centre Verrier qu’elle a accroché aux arbres fruitiers des repas oblongs faits de ses mains. Des mésanges ont ciselé et piqueté les boules, leur donnant leur forme finale : « Au CIAV, on a ensuite gardé une échelle 1, du début à la fin, puis on a fait des moulages en plâtre pour des tests et ce fut l’étape informatique finale pour réaliser un moule plus durable. ». Il était normal de dédier le nom de sa boule à ses « co-créatrices », celles-là même qui ont donné le nom de « vallée des Mésanges » à la commune. Harmonie Begon incarne également la femme- enfant du teaser dont elle a écrit le scénario et réalisé les costumes. « Piaf incarne cette idée que la poésie peut être partout, c’est juste une question de regard sur les choses. »
Le plus beau geste (design) de cette fin d’année ?


Harmonie Begon en décembre à LaVitrine Chicmedias 14, rue Sainte-Hélène
— Boule de Noël Piaf, édition CIAV, pichets parlants et posters


Par Cécile Becker, Myriam Commot-Delon
Photos Alexis Delon / Preview, Guy Rebmeister / CIAV Meisenthal, Harmonie Begon