Arsène Wenger
à domicile

Rencontre avec Arsène Wenger à l’occasion de sa venue à Strasbourg pour la sortie de ses mémoires Ma vie en rouge et blanc en référence aux couleurs de toutes les équipes qu’il a entraînées et du FC Duttlenheim, son village où sa passion pour le football est née.

C’est très certainement l’Alsacien le plus connu au monde. Il n’y avait qu’à voir la foule de micros tendus samedi 17 octobre face à lui dans les salons du Club de la presse Strasbourg Europe qui reçoit l’ancien manager d’Arsenal à l’occasion de la parution de ses mémoires. Pour ce retour aux sources, Arsène Wenger n’a d’ailleurs pas échappé à l’interview en alsacien face à la caméra de Rund Um, l’émission en dialecte de France 3 Alsace. Logiquement, il fut beaucoup question de ses racines et du parcours atypique et brillant du légendaire manager. Depuis Duttlenheim, son village natal, où tout a commencé entre le terrain de foot et La Croix d’Or, le bistrot tenu par ses parents qui faisait office de club-house. « C’’était un bon champ d’observation, raconte-t-il. Tous les gens du village qui aimaient le foot venaient là. Quand tu es petit, tu écoutes ce qui se raconte. Comme on ne parlait que de foot dans le café, j’ai dû penser que c’était la seule chose importante au monde. Au village, il y avait 90% d’agriculteurs. Pour eux, le foot, ce n’était pas du travail et personne n’imaginait que ce serait un jour un métier ».

Autodidactes, souvent dépourvus de maillots, d’arbitres et d’entraîneurs, Arsène et ses copains ont longtemps composé avec les moyens du bord. Jusqu’à ce que sa route croise celle de Max Hild lors d’un tournoi à Obernai. Ce jour-là, le FC Duttlenheim subit la loi de l’AS Mutzig (7-1) qui évolue plusieurs crans au-dessus. À l’issue du match, Max Hild s’adresse à ses joueurs dans le vestiaire. « J’ai vu un très bon joueur aujourd’hui », prononce le technicien. L’un de ses joueurs se lève et le remercie. « Non, ce n’est pas toi, il jouait dans l’équipe adverse », poursuit-il en ayant ciblé Arsène Wenger et son grand gabarit au milieu de terrain. 

« Cette défaite a changé ma vie », se souvient l’ancien joueur de Duttlenheim qui, à l’âge de 19 ans, rejoint l’équipe de la cité brassicole. C’est la naissance d’une amitié profonde qui va conduire les deux hommes à sillonner les routes pour assouvir leur passion en allant voir un maximum de matchs. Il n’est pas étonnant que les deux rejoignent plus tard le RC Strasbourg entraîné par Gilbert Gress en quête d’un adjoint. Ce sera Max Hild tandis que son fils spirituel hérite de la réserve et du centre de formation. Il arrive cependant à Arsène d’effectuer quelques apparitions avec l’équipe première, sacrée championne de France à la fin de la saison 1978-1979. Le jeune coach aurait très bien pu rester et progresser dans l’organigramme de son club de coeur, comme il l’avait déjà évoqué dans le hors-série de Zut « Un seul amour et pour toujours », paru cet été. « M. (André) Bord qui était président général m’avait dit de ne pas partir et que je serais entraîneur. Mais quelque chose me disait que ce serait plus dur ici », admet celui qui coupe le cordon avec sa région natale à la faveur d’une autre rencontre. Avec Jean-Marc Guillou qu’il accompagne à l’AS Cannes comme adjoint. En fin de saison, des sollicitations en provenance de Sochaux et Nancy arrivent sur son bureau. Arsène Wenger s’émancipe en Lorraine où il endosse le costume de N°1 à l’âge de 33 ans. Durant trois saisons, l’Alsacien jongle avec une souffrance tenace. Se demandant sans cesse s’il est réellement fait pour ce métier. « Je suis physiquement malade après les défaites. Je ne suis pas du tout flexible, je suis intolérant, un peu dictateur. Finalement, je pense que mon corps s’est adapté petit à petit au stress, avoue-t-il. Toute ma vie a oscillé entre l’amour de la victoire et la haine de la défaite ». 

Depuis 2019, Arsène Wenger est directeur du développement du football à la Fifa. ©Christoph de Barry

La victoire l’attend sur le banc de l’AS Monaco où il remporte le titre de champion de France en 1988. Et découvre le parfum des coupes d’Europe. Celui-ci ne suffit pas à occulter le goût amer qui règne dans l’Hexagone en ce début des années 1990 en marge de l’affaire de corruption VA-OM et d’une rivalité exacerbée avec le club présidé par Bernard Tapie. Le climat de suspicion se propage jusqu’à l’intérieur de son propre groupe, ce qui génère des envies d’ailleurs pour cet homme de valeurs. 

Arène Wenger s’exile au Japon dont le championnat professionnel est encore balbutiant. « Je découvre la fraîcheur, la volonté de bien faire, le respect total, un pays doté de valeurs collectives naturelles. Je luttais pour que les joueurs prennent des initiatives individuelles alors qu’eux ne pensaient qu’à l’équipe ». L’expérience asiatique dure dix-huit mois, le temps d’étoffer son palmarès d’une Coupe de l’Empereur et d’une Supercoupe avec Nagoya Grampus.

Arsène Wenger figure également dans "Un seul amour et pour toujours", le hors-série de Zut qui consacre 40 ans de passion autour du RC Strasbourg, parmi une cinquantaine d'anciens joueurs et dirigeants du club. ©Christoph de Barry

Malgré son CV fourni et douze ans d’expérience du haut niveau, il pose ses valises à Arsenal dans un « sceptimisme ambiant » à l’image du titre « Arsène who ? » qui barre la une du Evening Standard. Le président des Gunners lui donne carte blanche. À lui de convaincre, l’essence même de son job. Il adopte la posture du « manager à l’anglaise » disposant d’un spectre très large. Passionné et méthodique, il s’attèle à optimiser le club de fond en comble. Son équipe s’internationalise et les résultats ne tardent pas. Conséquence d’une « approche généreuse » du jeu. « On oppose souvent le style et la victoire », regrette-t-il. Lui voit plus loin. « Si vous n’arrivez pas à nourrir les joueurs avec des besoins un peu plus profonds, leur motivation ne dure pas ». C’est l’époque des Invincibles avec Pirès, Vieira, Bergkamp, Henry et tant d’autres qui remportent le championnat 2003-2004 en ne concédant aucune défaite. Mais la domination domestique des Gunners est mise à mal par Manchester United et Chelsea qui semblent disposer de ressources financières illimitées. Un autre chantier d’envergure se dresse face à Arsène, le bâtisseur. Celui de l’Emirates Stadium qui sort de terre en 2006. Il faut attendre 2014 pour le revoir brandir un nouveau trophée, en l’occurence la Cup face à Hull City (3-2 après prolongations) dans le nouveau Wembley. Son histoire avec le club londonien s’achève en 2018.

Bien qu’il soit depuis un an directeur du développement du football à la Fifa, la question de replonger lui est régulièrement posée. « Le banc me manque beaucoup, dit-il. J’étais drogué pendant 36 ans. On ne se défait pas de cette drogue-là du jour au lendemain. Mais je me suis raisonné en me demandant si je n’ai pas déjà fait le combat de trop. De toute façon, quand tu arrives à 70 ans (il fêtera ses 71 ans le 22 octobre, ndlr), l’horizon se raccourcit ». Et le Racing dans tout ça ? « Je suis ça de près. Je tremble un peu depuis le début de saison mais je pense qu’on va se stabiliser ».

Ma vie en rouge et blanc, Arsène Wenger, éd. Jean-Claude Lattès


Par Fabrice Voné
Photos Christoph de Barry