Visite au musée secret du RC Strasbourg

C’est en Moselle que le RC Strasbourg possède son « musée ». À Phalsbourg, dans le garage de Gérard Weber. Visite guidée du sous-sol par son très drôle de propriétaire, âgé de 76 ans, et qui vient de renoncer à contre-cœur à son abonnement à la Meinau.

Racing Club de Strasbourg, Gérard Weber
Gérard Weber dans son garage transformé en musée du Racing. ©Christoph de Barry

Ce n’est décidément pas une saison comme les autres. Au-delà de l’entame délicate des hommes de Thierry Laurey, minés par les cas de Covid-19 durant leur préparation estivale, et une Meinau limitée en terme de spectateurs en raison de la situation sanitaire, Gérard Weber l’a mauvaise.

Pour la première fois depuis la saison 1988-1989, ce mordu du Racing, aujourd’hui âgé de 76 ans, n’a pas renouvelé son abonnement. La perspective de ne plus revoir ses voisins de la tribune Nord, devenus copains au fil des saisons, et le complexe processus d’attribution des places l’ont convaincu de rester chez lui, à Phalsbourg. À contre-cœur. Comme une double peine, il n’a pu regarder le premier match, disputé le 23 août à Lorient (défaite 3-1), en raison de sa retransmission sur Telefoot, le nouveau diffuseur de la Ligue 1.
« Dimanche matin, je n’étais pas heureux », concède-t-il. Cela ne l’a toutefois pas empêché d’encourager son équipe en descendant dans son garage, où il a sans doute écouté le match à la radio, au cœur du musée dédié à l’un de ses deux amours – l’autre étant voué à Dalida – et qu’il s’est fabriqué au fil des ans. De quoi inspirer le RCSA qui envisage un tel espace dans le cadre du projet d’agrandissement de la Meinau prévu pour 2025.

Gérard Weber, RCS
Le bureau de Gérard. © Christoph de Barry

Nous ne sommes pas 11 mais 107 162

Chez Gérard, on trouve évidemment des maillots, des écharpes, des drapeaux, des shorts, des gants et même des cravates mais aussi toute une batterie de gadgets, plus ou moins improbables allant du gel douche senteur pêche – le shampooing penche davantage vers le citron industriel – à un puzzle jauni des joueurs du titre de champion de France, des pare-soleils, une bouteille de Force 4 non décapsulée et dédicacée par Marc Keller lors d’une sauterie à Obernai, ainsi qu’une vaste bibliothèque où sont soigneusement rangés des centaines de classeurs renfermant des statistiques en tout genre. Aussi bien sur les joueurs (de l’équipe fanion aux U13 sans oublier les féminines et l’équipe 3), les entraîneurs, les présidents que le… personnel administratif. S’y ajoutent des milliers de photos récupérées dans les journaux et magazines, des billets de match puis divers ouvrages dont l’indispensable hors-série de 436 pages du magazine Zut « Un seul amour et pour toujours« , paru cet été et consacré à 40 ans de passion autour du RCSA. Au total, 107 162 pièces ont été recensées dans son sous-sol, selon le dernier inventaire réalisé par ses soins le 12 février 2020. Un chiffre qui ne tient pas compte des milliers d’anecdotes qui tourbillonnent dans la mémoire et le débit du supporter.

Racing Club Strasbourg
Le puzzle des champions de France 1979. ©Christoph de Barry

Bienvenue dans l’antre de Gérard qui, de l’aveu de son épouse, ne serait pas du genre bavard. Pourtant, dès qu’il vous entraîne dans son univers plus ou moins souterrain, le septuagénaire retrouve toute sa gouaille de titi parisien. « Je suis né à 500 mètres de l’actuel Stade de France, explique-t-il. Mes grands-parents étaient de Saverne et mon père est né à Strasbourg ». Il a neuf ans lorsqu’il assiste à son premier match du Racing, le 7 juin 1953, en barrage retour d’accession à la D1 face à Rennes (3-1) à Saint-Ouen. Deux ans plus tôt, il était posté sur un quai de la gare Saint-Lazare en train de chanter « Allez Strasbourg » à destination des supporters valenciennois, reconnaissables à leur casque de mineur, qui descendaient du train pour se rendre à Colombes où était programmée la finale de la Coupe de France face au RCS. Les parents de Gérard avaient jugé plus sûr de ne pas l’emmener au milieu des 61 482 spectateurs massés dans les tribunes du stade Yves-du-Manoir où les Alsaciens allaient décrocher leur premier titre national (3-0).

Peu importe, ces deux épisodes d’une vie d’enfant étaient suffisants à ce que Gérard tombe dans la marmite. Ou plutôt les fours à pain puisqu’il reprend, à sa majorité, la boulangerie familiale de la rue Riquet dans le 18e arrondissement de Paris. Au pied de la butte Montmartre, il hisse les couleurs du RCS pour contrer certains de ses voisins commerçants dont un boucher lavallois et un primeur stéphanois. Dès qu’il le peut, il prend la route pour supporter son équipe favorite dans un cercle de 200 kilomètres autour de la capitale. Destination Rouen, par exemple, avec son père et un copain récupéré au Bourget. « On était mélangé en tribunes. Lorsque le Racing marquait, on se levait au milieu des supporters locaux, on n’avait pas peur », rigole-t-il.

La collection de Gérard Weber, RCSA
Casquettes, bonnets, écharpes, on trouve de tout dans le garage du collectionneur. ©Chrsitoph de Barry

Géopolitique du foot version sous-bock

Le 3 avril 1966, Gérard Weber a 22 ans lorsqu’il demande et obtient son premier autographe de la part de René Hauss en marge du quart de finale de Coupe de France face à Cherbourg (1-0). C’est à partir de ce moment que sa passion commence à dériver vers la collectionnite aiguë. Qui prend définitivement forme en 1987 lorsqu’il s’installe avec son épouse dans un hameau de Phalsbourg où ils reprennent une mercerie. Trait d’union entre l’Alsace et la Lorraine, la ville située dans le département de la Moselle présente alors une facette tripartite, assez savoureuse, déclinée en autant de bars. Il y a celui qui rassemble les fans de l’AS Nancy-Lorraine, l’autre qui penche pour le FC Metz et un dernier qui milite pour le RCS. Une autre époque. Comme quand Gérard et un voisin allaient klaxonner de nuit sous les fenêtres de supporters messins lorsque la cigogne terrassait le Graoully. Notre vénérable supporter a aussi bossé au péage de Saverne où il ramenait son carnet d’autographes. David Régis, Roland Weller, Sylvain Sansone, Yvon Pouliquen ou encore le regretté Éric Sold avaient leurs habitudes à son guichet.

À Phalsbourg, les bistrots de la place d’Armes ont progressivement fermé, mettant en sourdine une certaine conception de la géopolitique du foot version sous-bock. Sans même parler de l’addition. « Je paye mes impôts en Moselle (dont le département soutient le FC Metz, ndlr) et ça me fait chier », rumine le retraité, ami avec Joël Tanter, qui a momentanément occupé les fonctions de trésorier du Club Central des Supporters entre 2006 et 2015. Reste aujourd’hui son garage aux faux-airs de bunker en territoire avancé. Assurément, un lieu sûr !


Par Fabrice Voné
Photos Christoph de Barry