De fil en kelsch

Dans son atelier-boutique situé à Seebach, Pia Clauss œuvre à perpétuer la tradition du kelsch tout en lui apportant une touche de modernité. De ses mains délicates, cette couturière de métier fabrique le fameux tissu alsacien qu’elle vend ensuite au mètre ou sous forme de nombreuses créations. 

Pia Clauss kelsch
Pia Clauss dans son atelier-boutique à Seebach. © Grégory Massat

En lin, en chanvre ou en coton, le kelsch fait partie du patrimoine textile alsacien depuis le Moyen-Âge. Reconnaissable par ses motifs bleus ou rouges sur fond écru traversé par des rayures, il servait essentiellement à la confection du linge de maison. Au fil des années, sa production se raréfie jusqu’à frôler l’extinction en 2015, lorsque le dernier tisserand de la région décède, entraînant la fermeture de sa fabrique. Pia Clauss se trouve ainsi privée de la matière première dont elle a besoin notamment pour confectionner les objets vendus par son association Hélène de Cœur. À court de solutions, elle décide de se lancer dans la fabrication de l’authentique tissu aux couleurs chatoyantes.

Couture Pia Clauss
Pia Clauss réalisant de la couture dans son atelier © Grégory Massat

Moderniser le kelsch
En juin 2021, la couturière aux doigts de fée agrandit son espace boutique afin d’exposer et de mettre en valeur un large éventail d’articles fabriqués à base de kelsch. « J’essaye de relooker avec un œil contemporain ce tissu faisant partie intégrante du patrimoine alsacien. L’idée est de montrer à la nouvelle génération que le kelsch ne fait pas forcément vieillot, il faut simplement oser le mélanger dans un autre style et avec d’autres matières telles la laine, le cuir ou le skaï. »
En effet, sur les étagères de Kelsch d’Alsace, bien loin de l’esprit suranné qu’on aurait pu imaginer, les objets exposés accrochent le regard. Les coussins marient un kelsch et un tissu à fleurs, les porte-cartes en cuir et les petits carnets de notes en sont garnis, les bavoirs, nœuds papillons, cravates, abat-jours ou le linge de maison mêlent un style moderne au pur artisanat.

Pour la bonne cause
«D’origine je suis couturière, j’avais un atelier et je faisais aussi bien des retouches que du sur-mesure. Le kelsch n’est venu que plus tard suite au décès de ma fille. J’ai créé l’association Hélène de Cœur, qui porte son prénom, afin de soutenir la recherche en cardio-pédiatrie et l’avancement des travaux sur la mort subite inexpliquée au CHU de Strasbourg. Des bénévoles se retrouvent toutes les semaines et créent une collection d’objets de décoration en kelsch que nous vendons sur le site internet, en boutique ou lors de différentes manifestations et dont tous les bénéfices reviennent à cette cause. Lorsque mon fournisseur de kelsch est décédé et qu’il n’y avait pas de repreneur, je me suis lancée dans la fabrication. En partie pour sauver l’association et aussi parce que je suis sensible au patrimoine et aux tissus. II était important de faire perdurer cette tradition. »

La boutique Kelsch d'alsace
Les créations de Kelsch d'Alsace disposent du label Alsace Terre Textile. © Grégory Massat

Artisane multi-talents
Pia Clauss ne manque pas de cordes à son arc. Hormis ses talents indéniables de couturière, elle s’est formée à deux autres métiers d’art : celui de tapissière d’ameublement et de créatrice d’abat-jours. Elle rhabille les vieux fauteuils de kelsch ou d’un mariage de tissus, gère aussi bien la garniture que les assises et les galettes pour les bancs que les rideaux. « Souvent la structure des fauteuils est sympa, seul le tissu est un peu vieillot. Je leur donne une nouvelle apparence afin qu’ils retrouvent leur place dans le séjour. » Qu’elles soient chinées sur les marchés aux puces ou amenées par des clients désireux de donner un coup de jeunesse à leurs lampes, Pia Clauss transforme les objets. Elle restaure chaque abat-jour à la main et en change parfois la forme afin de la moderniser. «Je conçois aussi des lampes de A à Z. Pour les socles en métal, je travaille avec d’autres artisans et, pour ceux en bois, j’utilise les charpentes de maisons alsaciennes, les vieilles poutres. J’essaye d’optimiser les matières premières. » En sus de ses nombreux talents, Pia Clauss serait-elle aussi menuisière ? « Un peu oui, répond-t-elle en souriant, mon père l’était et m’a transmis son savoir-faire. »
Dans l’atelier de Kelsch d’Alsace, elles sont trois petites fées à travailler ce produit de niche. Aussi bien pour l’association qu’à titre professionnel, l’accent est mis sur la filature et le tissage biologique. «J’aurais pu faire fabriquer le kelsch en Inde ou ailleurs mais ce n’est pas l’objectif. Le kelsch est un tissu traditionnel alsacien, la fabrication se doit d’être locale. Je travaille avec un fil de lin qui vient de Normandie et qui est ensuite filé, teint et tissé en Alsace. Après tissage, il est lavé et je le retravaille, je le transforme en nappes, en abat-jours… Le label Alsace Terre Textile dont on dispose, garantit aux consommateurs que les articles qu’ils achètent sont authentiquement fabriqués ici. Souvent sur les marchés de Noël, vous trouvez soit du faux kelsch, soit du kelsch usé qui a été chiné puis découpé pour retirer les taches de rouille. Il ne reste donc pas assez de matière pour réaliser de grands articles. Pour les nappes, les rideaux, il faut vraiment un métrage, c’est plus compliqué. » Avec sa collection manufacturée artisanalement dans son atelier à Seebach, Pia Clauss fournit sa propre boutique et approvisionne d’autres enseignes en articles finis. Couturiers, brodeurs ou tapissiers y trouvent leur bonheur à travers un choix de plus de vingt références proposées au mètre.


Kelsch d’alsace
11, route de Schleithal à Seebach


Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat