Épidermie virale et dansée avec Unblock Project

Les puissants s’engraissent et la planète s’assèche… Les trous semblent béants. Plutôt que de s’y engouffrer, Étienne Rochefort et sa Cie 1 des SI (Besançon) proposent de faire corps, de continuer à raver. Unblock Project : remède à la pire des épidémies, l’individualisme. Premier rendez-vous avec Bug Party, le 10 juin à 19h, sur la presqu’île André Malraux, pour assister à la création d’une performance dansée par une centaine de danseurs strasbourgeois amateurs et confirmés. 

Joël Brown, Mondkopf, Eli Finberg et Étienne Rochefort en pleine répétition de leur spectacle Unblock Project. © Gilles Rondot.
Joël Brown, Mondkopf, Eli Finberg et Étienne Rochefort en pleine répétition de leur spectacle Unblock Project. Photo : Gilles Rondot.

Monde en guerre et peuples en galère. Burn-out généralisé et manifestants gazés. En cette période post-Covid, le monde semble s’effriter autant que les raisons d’espérer. En ce jour de répétition, il ne s’agit pas de lacrymogène : lorsque nous débarquons à tâtons dans la grande salle de La Laiterie, nous sommes aveuglés par un dense nuage de fumigène, mais attirés par des panneaux lumineux, comme des phares dans la nuit. Nous percevons des diodes étincelantes, des câbles entremêlés et, enfin, Mondkopf, gourou de la techno sombre, viscérale et cérébrale, qui fait trembler tout l’espace avec fréquences et basses. Un projecteur se braque discrètement au centre de la scène (saluons la créa lumière d’Olivier Bauer) et le danseur/batteur Joël Brown apparaît, entrant doucement dans le rythme. Gestes saccadés, il marche sans avancer, comme empêché. Puis il se met derrière ses fûts et frappe, fort, tandis qu’Eli Finberg commence à déclamer son plaidoyer « sur l’extinction des espèces, le superflu qui nous submerge ou la manipulation de masse ». « Tout s’imbrique », nous expliquera le rappeur strasbourgo-américain. Étienne Rochefort, chorégraphe, danseur, metteur en scène, monte sur le plateau et entre à son tour dans la transe, pris de convulsions, mimant des visages/masques, autant de cris figés, façon Munch ou Bacon. Les beats stoppent, mais la musique de Mondkopf – « sombre, remplie de drones », selon l’intéressé – gronde comme les hélices d’un hélicoptère, decrescendo. Silence. Lumière.

Mondkopf et Étienne Rochefort durant la répétition du spectacle Unblock Project. © Gilles Rondot
Mondkopf et Étienne Rochefort durant la répétition du spectacle Unblock Project. Photo : Gilles Rondot

Stop ou en corps ?

Lors du spectacle dans sa version finalisée aux Eurockéennes – plusieurs formats seront proposés –, la projection d’un film réalisé par Étienne épaulé par deux Grégoires (Orio et Couvert), accompagnera les sons, fusionnera avec les mouvements. Les images « créent une ligne narrative », selon le chef d’orchestre du Project, et composent une galerie de portraits d’hommes et de femmes au bord de la crise de nerfs, comme celle qui tapote de manière de plus en plus frénétique sur son clavier en plein open space. La pellicule tournera, et nous plongerons progressivement vers la plus totale des abstractions, à la mesure du pétage de plombs général. En surchauffe, les personnages incarnés par Étienne Rochefort, Sylvain Lepoivre, Megan Desprez, Joël Brown et Marine Wroniszewski sortent petit à petit de l’écran. Entre breaks hip-hop, syncopes krump et secousses électro, tous sont pris par le « bugging, danse évoquant la saturation de nos systèmes actuels ». Une épidémie avec réactions épidermiques en chaîne. Les raisons de ce dérèglement ? La période de crises en cascades que nous traversons. Face à cette violence, Étienne et sa bande proposent de « faire groupe », en brisant le quatrième mur et en allant dans le public pour le convier à bugguer en chœur. L’union crée l’espoir.

Ici, pas de vedette ni d’étoile : tout le monde sur le même plan, comme dans Bugging, spectacle créé l’an passé à Chaillot dans le cadre de la résidence à Pôle Sud dont il est artiste associé depuis 2020. Unblock Project en est une émanation qui a fichu une énorme baffe à Thierry Danet, co-directeur de La Laiterie et boss du festival Ososphère : « Cette pièce a su désinhiber un mec comme moi, c’est dire ! Étienne s’inscrit dans cette longue tradition née à partir du punk où le concert devient performatif et le corps réagit en temps réel à l’époque. » Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes, est exactement sur la même longueur d’onde (vibratoire) : « J’ai découvert son travail durant VIADANSE au Centre chorégraphique de Belfort. Sa démarche est… très punk-rock, osons l’expression ! Les gens pensent qu’avec la danse contemporaine, ils vont avoir mal aux dents, alors que non, et Unblock Project, show musclé, en sera la preuve. Le public partagera notre enthousiasme, j’en suis certain. On ne lâchera pas l’affaire : il n’y a pas que les blockbusters dans la vie ! » Joëlle Smadja, directrice de Pôle Sud : « Nous vivons une belle épopée avec ce jeune chorégraphe qui propage sa passion pour la danse chez les plus jeunes. Avec lui, elle devient virale. » La messe des temps présents dysfonctionnels est dite. Le système d’alarme « dû aux bugs sociaux révélés par les danses urbaines », pour reprendre les termes d’Étienne Rochefort a sonné. Le bug de l’An 2000 aura lieu… cet été.


— BUG PARTY,
concert dansé (sorte de « préquel » d’Unblock Project) le 10 juin (19h) sur la Presqu’île André Malraux (avec 100 amateurs !), à Strasbourg
Presqu’île André-Malraux

67100 Strasbourg
www.pole-sud.fr
— UNBLOCK PROJECT,
concert dansé le 29 juin aux Eurockéennes de Belfort sur la Presqu’île du Malsaucy ; le 23 septembre au festival Détonation à la Friche Artistique, à Besançon
www.eurockeennes.fr
detonation-festival.com
L’Ososphère travaille sur l’opportunité d’une programmation située dans le cadre du festival, à Strasbourg.
www.ososphere.org
Les résidences de création ont eu lieu en diverses salles : La Rodia, La Laiterie, L’Espace Django et Pole-Sud CDCN de Strasbourg
larodia.com
www.artefact.org
www.espacedjango.eu


Par Emmanuel Dosda
Photos Gilles Rondot