Les agités du bocal #2

Lenteur et gastronomie font-elles la paire ? Au-delà d’une réaction des restaurateurs à la crise que nous traversons, certaines pratiques ancestrales reviennent ces dernières années sur le devant de la scène, entraînées par un retour aux valeurs essentielles. Prendre le temps, mieux manger. Zoom sur la fermentation.

Pour Christian Artzner, fondateur de la brasserie Perle, la fabrication de la bière repose sur un triptyque bien calibré entre cuisine, technologie et... magie. © Pascal Bastien

— La bière

Formé à l’ingénierie brassicole, à la biochimie et à la microbiologie, passé par l’Afrique et les États-Unis pour le compte de grands groupes brassicoles, Christian Artzner, fondateur de la brasserie Perle, en connaît un rayon sur la fermentation. Pour lui, la fabrication de la bière repose sur un triptyque bien calibré entre cuisine, technologie et… magie.

« Le brasseur assemble ses ingrédients comme un chef, pour constituer un moût plus ou moins dense, coloré et malté. Mais la fermentation est de loin le processus le plus complexe de toutes les étapes de fabrication, celui qui va apporter du caractère à la bière », explique Christian Artzner. Et de rappeler que son professeur de brasserie écossais parlait de « black box » (la boîte noire) pour décrire l’opération à l’œuvre bien à l’abri des cuves de fermentation. « Avant l’invention du microscope et la découverte de la levure par Pasteur, les Anglais appelaient le phénomène de fermentation « God is Good », autrement dit : « Dieu est bon ». Imaginez un peu : obtenir une sorte de mousse capable de transformer du jus sucré en alcool sans intervention humaine. C’était à n’y rien comprendre, et confinait effectivement au divin ! »

Même aujourd’hui que l’on sait, la « magie » de la fermentation continue à opérer. Par la grâce d’un champignon unicellulaire d’une taille de 5 à 10 microns, de la famille des saccharomyces. « Les levures sont composées de centaines d’espèces différentes. Celles employées en brasserie se distinguent assez peu de celles à l’œuvre dans le processus de vinification ou la fabrication du pain. » Ajoutées à la « recette » élaborée par le brasseur, elles vont se multiplier au contact de l’air (aérobie) avant de fabriquer de l’alcool une fois privée d’oxygène (anaréobie).

"La fermentation reste de loin la plus complexe des étapes de fabrication" © Pascal Bastien

« Historiquement, le métier de brasseur consistait aussi à gérer les souches de levures que l’on faisait vivre de brassin en brassin. »

Une méthode encore employée pour certaines bières dites de fermentation spontanée, que l’on peut trouver dans la région de Bruxelles. Mais depuis une dizaine d’années, la technologie a fait un bon énorme et permet désormais de sécher convenablement les levures sans les tuer, assure encore le patron des bières Perle. « C’est en partie ce qui a permis l’éclosion du phénomène des micro-brasseries artisanales. »

Chez Perle, on ne s’interdit d’ailleurs pas de réensemencer à partir d’un brassin existant. « Cela donne une levure plus vigoureuse », assure Christian Artzner, qui sélectionne soigneusement ses levures en fonction du résultat attendu. « Pour les IPA, on cherche des goûts neutres, mais certaines souches apportent leur propre personnalité, avec des notes épicées un peu piquantes. Ainsi, pour notre dernière bière éphémère Hop, on utilise une levure employée dans le nord de la France ou en Belgique, qui apporte beaucoup de caractère. »

Si filtrage ou centrifugeage permettent de débarrasser la bière de ses résidus de levure, celle-ci sera toujours résiduellement présente dans les bières non filtrées. Parfois même réintroduites avec du sucre après la mise en bouteille, à l’instar de certaines weissbier bavaroises laissées à fermenter en chambre chaude, précise Christian Artzner, rappelant au passage qu’il n’y a pas qu’une façon de composer avec la fermentation. Mais une chose est sûre, la fermentation reste de loin la plus complexe des étapes de fabrication : « Si le brasseur va tout mettre en œuvre pour que le travail s’effectue dans les meilleures conditions, ce sont bien les levures qui vont faire tout le travail au cours de la fermentation ! »


Perle
1, rue de l’Ardèche, ZI de la Plaine des Bouchers


La fermentation : c’est quoi, pourquoi, comment ? Marc Fischer, maître de conférences à l’Université de Strasbourg, spécialisé en microbiologie, fait le point ici.


Par Cécile Becker et JiBé Mathieu
Photos Pascal Bastien