Winterreise : l'errance des migrants par Kornél Mundruczó
Le metteur en scène hongrois s’empare de ce brûlant et poignant sujet, en convoquant le Voyage d’hiver de Schubert.
On connaît le Hongrois Kornél Mundruczó pour des films singuliers qui n’hésitent pas à faire se percuter film social et cinéma fantastique. White God, prix de la sélection Un certain regard à Cannes en 2014, suivait ainsi une meute de chiens se vengeant des hommes qui les ont si longtemps réduits en esclavage. Au théâtre – où, selon lui, les spectateurs sont davantage prêts à des expériences radicales (et où il s’est formé) – on l’a découvert dès 2008 avec The Frankenstein Project, son 2e spectacle, présenté à l’occasion du festival Premières. À Strasbourg, on l’a retrouvé avec Disgrace, d’après le roman de J.M. Coetzee, sombre portrait de l’Afrique du Sud post-apartheid, et Imitation of Life, autour de la cruelle éviction d’un couple de son appartement. Dans son théâtre au réalisme cru et brutal, comme dans son cinéma souvent plus onirique, Kornél Mundruczó se consacre aux laissés pour compte et aux marginaux, « parce qu’ils nous tendent un miroir ». Avec sensibilité et frontalité, servi au théâtre par des comédiens au jeu direct et très physique, il part en quête de ce qui nous reste d’humanité, dont il déniche des bribes le plus souvent dans les petits détails d’un quotidien souvent sordide.
La bande annonce de White God de Kornél Mundruczó
En 2014, Kornél Mundruczó se rend ainsi dans un camp de réfugiés pour filmer quelques images… Il raconte que le dénuement et le désespoir qu’il y a rencontré l’ont si profondément bouleversé qu’il n’a pu en rendre compte par des mots… Il se tourne alors vers Winterreise (Voyage d’hiver), le cycle de Lieder profondément mélancolique composé par Franz Schubert en 1827 sur les poèmes de Wilhelm Müller. De cette figure romantique du Wanderer, ce voyageur errant sans but et sans espoir qui traverse le cycle, le migrant lui semble la plus récente et juste incarnation.
Dans sa mise en scène, Mundruczó opte pour un dispositif d’une redoutable simplicité : un comédien-chanteur, János Szemenyei, forcément seul, interprète avec son accent hongrois les mots de Müller, tandis que l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg interprète en direct la partition revisitée par Hans Zender en 1993. Derrière, des images filmées dans les camps tour à tour nous mettent à distance de la réalité et nous l’envoient en pleine figure. Poignant et révoltant tout en évitant le piège du pathos, Winterreise interroge sur ce qu’un homme peut bien construire lorsqu’il est coincé au purgatoire, et sur ce qui pourrait lui offrir un refuge.
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