La Fabrique : résidences artistiques en milieu scolaire

Pour la 3e année consécutive, l’association Caranusca coordonne une série de résidences en milieu scolaire. Ce projet, nommé La Fabrique, donne l’opportunité à des artistes et journalistes de développer un projet personnel en lien avec des classes de collèges dans le Grand Est. La Fabrique émane de la DRAC (Direction Régionale des Affaires culturelles) Grand Est, est accompagnée par les rectorats de la région académique Grand Est et les Départements. L’objectif : faire de la médiation culturelle, de l’éducation aux médias dans les collèges et soutenir des jeunes professionnels dans leurs projets personnels.

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En juillet 2019, à Moussey, résidence de Sébastien Leban. Photo : Sébastien Leban

« Aucun d’entre eux n’avait déjà pris en main un appareil photo en dehors de leur smartphone ! Ils n’avaient jamais vu de négatifs. » Sébastien Leban, photojournaliste indépendant, raconte sa rencontre avec la classe de 5e du collège Les Étangs à Moussay Bataville, en Moselle. « J’ai dû leur raconter mon métier. J’ai expliqué ce que c’est que d’être photographe et de travailler pour la presse. J’ai aussi fait de l’éducation aux médias : comment l’information se construit, se diffuse, etc.  Je n’avais jamais fait ce genre d’expérience avant. C’était très enrichissant d’échanger avec les gamins. » C’est la première fois que Sébastien Leban participait à une résidence, à fortiori avec une trentaine de collégiens. Il a candidaté pour la session 2019 après que des contacts lui ont parlé de La Fabrique. Quelques mois plus tard, il débarquait en classe.

« J’ai décidé de monter un projet autour de la grande ruralité », raconte Sébastien. « On était situé sur le site d’une ancienne usine Bata qui a fermé dans les années 2000. Il y avait des problématiques qui m’intéressaient sur ce territoire, entre désindustrialisation et ruralité. Auparavant, la ville fonctionnait autour de l’usine. »

Une expérience « humaine, professionnelle et éducative »

Chaque élève devait réaliser plusieurs projets. « Ils devaient me livrer l’équivalent d’un synopsis pour m’expliquer ce qu’ils voulaient raconter et comment. » Pendant les vacances, les élèves prennent des photos avec les appareils distribués. Au retour, session développement, tirage et édition sur une dizaine de photos. L’objectif était de faire travailler les jeunes sur leur territoire et sur des sujets très proches d’eux. « Je voulais les faire réfléchir sur l’endroit où ils habitent, révéler les problématiques auxquelles ils peuvent être confrontés, les différences qu’il peut exister avec d’autres zones, etc. »

« J’avais mon projet perso en parallèle du projet que je montais avec les élèves. L’idée étant de montrer la grande ruralité à travers une galerie de portraits. Chaque portrait abordait une thématique du territoire. On avait un éleveur par exemple, qui raconte la transformation de son métier et son implication dans la politique locale. J’ai aussi suivi une infirmière de campagne pour raconter son isolement, les problèmes d’accès au soin. Une ancienne ouvrière de Bataville a pu nous raconter l’histoire du territoire… »

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En mai 2019, à Moussey, résidence de Sébastien Leban. Photo : Sébastien Leban

11 000€ pour 66 jours de résidence

Dans le cadre de la Fabrique, les artistes/journalistes acceptés reçoivent une enveloppe de 10 000 €. Avec cette somme, ils se logent sur place et financent leur projet personnel qu’ils couplent avec un travail avec les adolescents. Le contrat : 66 jours de développement, de recherche et de mise en place du projet, dont 20 jours de présence avec les élèves.

« Ça me fait un revenu non négligeable c’est sûr, mais ça demande beaucoup d’organisation, surtout en tant qu’indépendant, explique Sébastien. On ne s’arrête pas de bosser à côté, mais côté humain et professionnel c’est inestimable. J’ai passé 4 mois délirants. J’ai fini sur les rotules mais c’était super. Ça me permet de réfléchir sur mon travail, sur mon métier, sur ma manière de faire. En les expliquant aux enfants, tu lances forcément une sorte d’introspection et de recul sur ton travail. Je pense que ça m’a beaucoup fait évoluer. Professionnellement, ça m’a permis de faire un gros projet dont j’avais envie, avec des rencontres exceptionnelles. » Résultat : une grosse exposition de plus 250 photos dans l’ancienne cantine de Bataville à la fin du mois de juin 2019, avec les travaux des élèves mélangés avec le travail de Sébastien Leban. Bonus : la DRAC, qui aurait adoré la résidence, a donné un budget pour en faire un livre, sorti récemment.

Mélange entre soutien aux créateurs et à l’éducation

« Avec La Fabrique, l’idée c’est essentiellement de faire de l’éducation artistique, culturelle, médiatique et à l’information. » Marie-Hélène Caroff, directrice de l’association Caranusca, qui porte la Fabrique, explique qu’une grosse partie de son activité tourne autour du soutien à la création et l’accompagnement des résidences. « C’est aussi l’occasion de mettre en avant des jeunes professionnels issus de filières d’enseignement de la région Grand Est ou de personnes travaillant aujourd’hui dans la région. Dans tous les cas, il y a un ancrage territorial. »

Il y aussi un objectif pluridisciplinaire selon elle. Idéalement, les résidences interagissent avec les enseignements des élèves. « Par exemple, dans la résidence de Raphaël Krafft, journaliste radio. L’habillage sonore de la webradio qu’il a mis en place pour sa résidence avec sa classe de collégiens a été réalisé avec leur prof de musique. »

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En mai 2019, à Moussey, résidence de Sébastien Leban. Photo : Sébastien Leban

En termes d’éducation (culturelle ou aux médias), c’est aussi bien différent que les interventions ponctuelles traditionnelles, puisque c’est sur du temps long. « Certes c’est marquant, un journaliste qui vient deux ou trois fois en cours. Mais là on peut aller beaucoup plus loin, avec une réelle relation de proximité entre le professionnel et les élèves. »

Une édition 2020 perturbée par la Covid

« Tout s’est arrêté au moment où tout commençait à se mettre en place ! » Pour cette année, à cause de la Covid-19, certaines des résidences ont été annulées ou arrêtées en cours de route. « Les artistes sont de toute façon rémunérés. Ils ont pris du temps pour développer et préparer leurs projets. Certains ont continué à travailler à distance, mais sans l’interaction avec les élèves. »

D’autres ont repris leur résidence sous une autre forme pendant l’été culturel et apprenant, dispositif mis en place par l’État. Une dernière partie des artistes sélectionnés tenteront de reprendre en automne, « mais comme c’est en milieu scolaire et que personne ne sait de quoi sera faite la rentrée prochaine… on est dans le flou comme tout le monde », explique Marie-Hélène Caroff. Pourtant, une édition 2021 est déjà programmée, avec une dizaine de candidats sélectionnés (1 par département du Grand Est). Parmi eux, des vidéastes, journalistes, graphistes, comédiens, metteurs en scène, architectes et même horticulteurs ! De quoi introduire des pratiques et métiers artistiques ou audiovisuels dans des cursus scolaires qui en manquent parfois cruellement.


La Fabrique – résidences Grand Est


Par Martin Lelievre