Un apéro avec Mathieu Amalric

Après Gustave Kervern, c’est avec Mathieu Amalric que Zut a pris l’apéro à l’occasion de la sortie de son nouveau film Serre-moi fort. L’acteur, aussi à l’affiche du dernier Wes Anderson, The French Dispatch, prend le temps, une bière à la main au Café des Sports.

L’alcool pour oublier, sortir de soi ou les deux ?
Ce n’est pas contradictoire. Dans le film [Serre-moi fort, réalisé par lui-même, incarné notamment par Vicky Krieps, NDLR], le personnage essaye de faire passer le temps, de s’oublier et de sortir d’elle-même : aller voir la mer, travailler parce que ça aide, et puis, en dernier lieu, il y a l’alcool. Moi euh… j’ai mon âge. Mais oublier, non. Je n’ai pas une relation triste à l’alcool. Ça me fait penser au film des Larrieu [Tralala, ndlr] : « Surtout ne soyez pas vous-même. » C’est un autre danger de l’alcool que j’ai commencé à découvrir. On croit qu’on est génial et en fait, on n’a pas vraiment été soi-même. Pour moi, l’alcool plutôt est lié au groupe ou aux rituels que j’ai avec mon amoureuse, Barbara [Hannigan, ndlr], musicienne et chanteuse soprano. Elle ne boit que du blanc parce que le tanin du rouge ne convient pas à sa voix. Elle travaille énormément et le soir, on a cette bouteille de blanc. Elle les préfère gras : on prend rarement de l’Alsace, tiens, plutôt des Bourgogne.

Un alcool particulier pour se mettre dans un état particulier ?
Je suis peut-être prétentieux, mais j’ai l’impression d’être tout le temps dans un état particulier, et ça me va. Je me souviens de l’école, quand t’es jeune et que tout le monde fume des joints : c’était horrible. Moi, ça me rendait tout vert et j’étais malade, il fallait que je fasse semblant. Je voyais bien quand même que les autres jouaient tous la comédie en disant « Ah putain, c’est bon !!! » Là, je vis en coloc’ avec Rodolphe Burger et Olivier Cadiot, et avec Olivier, on a quelque chose avec le whisky…

Mathieu Amalric
Mathieu Amalric devant une bière Kollane Lill de la brasserie Bendorf, au Café des Sports à Strasbourg. © Christophe Urbain

L’alcool évoque aussi le rapport à la table. Pour Serre-moi fort, c’est en invitant Vicky Krieps à dîner chez vous que votre collaboration s’est scellée.
On peut vraiment avoir tendance à s’enfermer dans l’art. Auteur, artiste… tous ces mots pourris qui, en fait, n’existent pas. Comment tu connais l’autre, alors ? C’est vrai que la table ça marche : dans une cuisine, il se passe toujours quelque chose. La façon dont tu bouges autour de la table, pour ne pas gêner l’autre, ça raconte beaucoup. Vicky avait par exemple une manière de ne pas rester à table : elle prend des assiettes, pose le poisson, bouge, propose de l’aide. J’ai senti tout de suite qu’on pouvait faire un film ensemble.

Y avait-il une relation de séduction entre vous ?
J’étais intimidé, je voulais l’impressionner aussi. J’avais mes livres, mes carnets, des DVDs posé à côté de moi, l’air de rien « Tu me surprends en plein travail mais pas trop quand même… » Putain ! Comme avant un rendez-vous amoureux. Tu veux donner des références ? Un livre ? Un film ? Elle les a prises, mais ne les a pas regardées. Elle a raison : ça ne passe pas par ça.

C’est quoi un élan amoureux ?
Alors là… Pour ce film, quand j’imaginais ce couple qui a très peu de scènes ensemble, je savais comment ils font l’amour. Si on ne sent pas, en tant que spectateur, que cet élan brisé en plein vol fait mal, si on ne sent pas le manque physique, on ne pleure pas. J’ai beaucoup pensé à L’Atalante [de Jean Vigo, NDLR], cette scène où ils se caressent en pensant l’un à l’autre : c’est sublime. Je pense aussi à l’élan amoureux dans un couple qui vient d’avoir un enfant, où le désir peut passer sous le tapis, derrière le bonheur que sont les enfants. Le corps est modifié, il y a la fatigue… Et les vacances avec des enfants, c’est un des grands moments qui peut créer un élan amoureux : faire l’amour en douce… Ce sont pour moi des souvenirs très précis.

Avez-vous besoin de mobiliser vos souvenirs pour faire un film ?
Quand tu écris le film, tu le joues, parce qu’il y a des choses précises qui te viennent et tu picores dans des choses qui te sont arrivées. Quand on met en place le plan, j’ai besoin de voir comment je peux donner à manger aux comédiens, aider, pas diriger, non, mais souffler… partager. Le ressenti, il n’y a que ça. Je n’avais pas envie d’un film désincarné.

Des souvenirs ici à Strasbourg ?
La dernière fois que je suis venu ici, c’était en hiver. Les tartes flambées, c’est un des grands plaisirs. Quand j’étais tout jeune, j’avais une copine qui était au TNS, c’était le temps où le train mettait 5h30 pour venir de Paris. Le Coin des Pucelles, ça a été un endroit où j’ai été tellement heureux !

Roland et Myriam ont quitté le Coin des Pucelles…
Ne m’en parlez pas, c’est horrible quoi… C’était délicieux.


Propos recueillis au Café des Sports à Strasbourg le 3 septembre, dans le cadre de l’avant-première de Serre-moi fort aux Cinémas Star.


Par Cécile Becker
Photo Christophe Urbain