Vague de liberté

Dans son premier long métrage, La Passagère, Héloïse Pelloquet met en scène la rencontre amoureuse inattendue entre Chiara (Cécile de France), quarantenaire mariée et Maxence (Félix Lefebvre) de vingt ans son cadet. Heureuse dans son couple et dans sa profession de marin pêcheur qu’elle exerce aux côtés de son mari Antoine (Grégoire Monsaingeon) sur la côte Atlantique, Chiara se sent rapidement troublée par le jeune garçon. Dans La Passagère, il est question de normes sociales et du poids du regard des autres, mais surtout d’une femme libre et aventureuse qui, s’affranchissant des barrières sociales, s’octroie le droit à être heureuse. Rencontre avec la réalisatrice et les acteurs principaux.

La Passagère
L'équipe du film La Passagère. © Grégory Massat

La Passagère raconte l’histoire d’amour entre une quarantenaire et un jeune homme de vingt ans son cadet. Selon vous ce sujet est encore tabou aujourd’hui ?
Héloïse Pelloquet : Je pense qu’il dérange davantage que la configuration inverse. Les histoires d’amour dans lesquelles les femmes sont plus âgées que leur compagnon sont nettement moins représentées en littérature, au cinéma et en fiction de manière générale. Par ailleurs, on dit une cougar mais il n’existe pas de masculin à ce mot. Je ne sais pas si ce sujet est tabou mais c’est encore quelque chose qu’on remarque, qu’on note, qu’on commente et qui n’est pas forcément vu d’un très bon œil.
Cécile de France : Au cinéma, j’ai été beaucoup la compagne de Gérard Depardieu, Kad Merad… et jamais on ne m’a posé la question de notre différence d’âge. C’est un non-sujet.

Cécile de France
Cécile de France. © Grégory Massat

Vous avez choisi de représenter le couple de Chiara et Antoine comme très complices et amoureux après dix-neuf ans de mariage. Ce choix ajoute-t-il à la difficulté de la rencontre avec Maxence ?
H.P. : Souvent, les gens ont besoin de se raconter une raison ou une excuse, car ils ont du mal à accepter le fait qu’une femme puisse simplement tomber amoureuse d’un autre homme, d’un homme plus jeune. Je trouve que dès qu’on cherche des justifications, c’est qu’il y a quelque chose à défendre et qu’on entre sur le terrain moral. Oui Chiara aime son mari, ce n’est pas une femme malheureuse en ménage, ils s’aiment beaucoup, ils se désirent, il ne la délaisse pas, ne la maltraite pas. C’est également une femme qui travaille, ce n’est pas une femme au foyer ou une bourgeoise qui s’ennuie, ce n’est pas Emma Bovary, ni Lady Chatterley… C’était important pour moi que le film ne cherche pas à se justifier car il n’y a pas besoin d’excuse. Et bien sûr, cela ajoute au dilemme de Chiara. Parfois, on me demande si c’est un film d’émancipation, je ne suis pas totalement confortable avec ce terme, parce qu’il n’y a pas d’étouffement. Chiara est une femme heureuse et soudain s’offre à elle une sorte de surplus de bonheur. C’est un film qui parle de joie, de plaisir, de désir, de vivre intensément et Chiara a soif de ça.

Chiara et Maxence ne viennent pas du même milieu social.
H.P. : J’aime quand les films parlent de notre société en sous-couches. Il y a une grosse différence d’âge entre Chiara et Maxence et elle est aussi sa patronne. Je trouvais que les choses s’équilibraient davantage s’il était issu d’une classe sociale dominante. Chiara a d’ailleurs un petit complexe de classe vis-à-vis de lui, car il a une aisance qu’elle n’a pas du tout. Il l’agace.

Dans votre film, Chiara est marin pêcheur. Était-ce important pour vous de mettre en scène à la fois la rudesse des corps et leur sensualité ?
H.P. : C’est un film assez sensuel dans tous les sens du terme. Il y a quelque chose sur le corps de cette femme, la rudesse du travail. Et puis je fais un film d’amour. J’avais très envie de traiter la question sensuelle et d’apporter un point de vue plus féminin là-dessus. On en parle beaucoup en ce moment, on est de plus en plus de femmes à réaliser des films, il y a quelque chose qui se rééquilibre dans les représentations de la jouissance au cinéma, notamment de la jouissance féminine. Et ce droit à la jouissance que s’octroie Chiara est bien sûr corrélé à ce qu’elle vit tous les jours lorsque son corps est mis à l’épreuve par un travail très physique.

Comment avez-vous appréhendé ces scènes érotiques très assumées ?
C.D.F. : On a beaucoup discuté tous les trois. Héloïse a essayé de percevoir ce qu’on était d’accord de donner, nos limites en intimité. Quand on tourne, on donne tout et on sait qu’au montage, des choses seront enlevées. C’est un contrat de confiance entre nous. On est là pour être au service de ces scènes qui sont dans le scénario de manière très claire, très assumée, avec une volonté de représenter la jouissance, qui est  d’abord celle de Chiara, mais celle de Maxence aussi. Félix et moi, nous sommes tous les deux mis au service d’une histoire, nous ne nous sommes pas posé trop de questions parce qu’on est aussi deux acteurs en accord avec nos corps. Il y a différentes sortes d’acteurs, nous faisons partie de la catégorie qui est plutôt à l’aise et qui s’appuie sur son corps pour raconter un personnage, une histoire et être au service du metteur en scène.

La réalisatrice Héloïse Pelloquet. © Grégory Massat

Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
H.P. : Quand le scénario a été prêt, je l’ai immédiatement envoyé à Cécile de France, à qui j’avais vraiment envie de proposer le rôle. Il fallait une Chiara crédible dans ce travail rude, soumis aux aléas de la météo. Cécile de France est à la fois solide et sensuelle, avec une beauté très naturelle, beaucoup de vitalité. Elle a quelque chose de terrien, qui me plaît beaucoup et qui, sans doute, participe à sa popularité. Je lui ai donc écrit une lettre d’amour et elle m’a répondu tout de suite. À partir du moment où elle a accepté le rôle, j’ai composé le reste du casting autour d’elle. Il y a eu un casting pour le rôle de Maxence. Quant au rôle d’Antoine, j’ai plutôt ciblé quelques comédiens, et parmi cette poignée, il y avait Grégoire Monsaingeon. Je ne voulais pas qu’on puisse soupçonner une lassitude qui aurait poussé Chiara dans les bras d’un homme plus désirable que lui, je cherchais quelqu’un de charmant, doux, charismatique.

Dans votre film, la mer et les éléments naturels apparaissent comme une métaphore de l’histoire d’amour entre Maxence et Chiara.
H.P. :  Il y a une mise en scène climatique et romanesque. C’est ce qu’on a essayé d’écrire et de prolonger au tournage. Maxence est la perturbation dans la vie de Chiara, il arrive un jour de tempête. Il y a une période de froid entre eux qui correspond  plutôt à l’hiver, au moment où il neige, puis quand leur histoire d’amour se déploie, les beaux jours reviennent. La météo, la houle, le vent sont liés à ce qu’ils sont en train de vivre.

On ressent une attirance quasi immédiate entre Maxence et Chiara. Ils se cherchent, tout en luttant contre leur désir. Où se situe le point de bascule ?
H.P. : Je pense effectivement que ce sont deux personnes qui se plaisent assez rapidement. Chiara manifeste d’abord une forme de rejet, il y a une méfiance, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’attraction physique. Leur attirance est palpable, dès le début quand ils se serrent la main et que leurs doigts s’accrochent. Mais le véritable point de bascule pour moi est le moment où leur attirance est formulée. Lors du mariage, ils vont fumer une cigarette dehors et elle lui dit : « Tu m’énerves. » Il y a un avant et un après cette scène, car tout ce qui était de l’ordre de la perception, du non-dit, du jeu de séduction devient formulé. Et si c’est formulé, c’est que ça existe.

Grégoire Monsaingeon
Grégoire Monsaingeon. © Grégory Massat

Vous cassez les codes préétablis, Chiara n’est pas une femme dans la séduction.
H.P. :
Maxence flashe sur elle alors qu’elle n’essaye pas de le séduire, qu’elle est en tenue de travail, qu’elle sent le poisson. Il la voit travailler la plupart du temps et c’est comme ça qu’il tombe amoureux d’elle.

Maxence étant en apprentissage, on imagine immédiatement leur liaison courte et passagère.
Héloïse Pelloquet : Jamais dans le film je ne crois à la longévité de cette histoire. Mais pour autant, je la prends très au sérieux quand même. Ce n’est pas parce que ça a l’air de devoir être court que ce n’est pas important et que ça ne vaut pas la peine d’être vécu.

Chiara a épousé l’un des pêcheurs d’une communauté insulaire qui au fil des années l’a adoptée. Mais dès lors que le scandale éclate, elle est rejetée, elle redevient une étrangère. On ne la définit que par sa relation avec son mari ?
C.D.F. : Exactement et c’est pour ça que le film s’appelle « La Passagère ». Chiara est déracinée, portée par le vent. Elle arrive sur cette île, y construit des liens affectifs d’adoption et puis elle va continuer sa route, aussi parce qu’elle a été rejetée. Un peu comme un cowboy solitaire. J’aime cette héroïne romanesque, presque d’aventure.
Grégoire Monsaingeon : La communauté vous intègre comme une identité, mais pas spécialement singulière. Chiara est reconnue comme la femme d’Antoine qui a grandi dans cette communauté. C’est vrai qu’elle est rattachée à lui.

Pensez-vous que l’amour peut s’affranchir des barrières sociales ?
C.D.F. : Oui, quitte à être pionniers et à montrer le chemin. Le cinéma ouvre aussi les esprits et fait avancer les mentalités. Je m’en rends vraiment compte depuis que j’en fais. Permettre aux gens d’aimer deux personnes à la fois sans que cela soit étrange ou indécent.
Félix Lefebvre : Ce qui est beau c’est que si deux personnes s’aiment alors que tout les séparent – la différence d’âge, le regard sociétal ou d’autres choses… –, si malgré tout, ces deux personnes tombent amoureuses, c’est un amour pur et nécessaire, qui ne s’explique pas. C’est ce qui arrive à Maxence et Chiara, rien ne les prédestinait à se rencontrer amoureusement et pourtant il y a quelque chose de chimique, de physique, de spirituel qui leur arrive et qui les dépassent. Ils sont assez ouverts et courageux pour prendre ce risque. C’est ça qui est beau. Ce film est une ode à la vie, au courage, à l’amour et à la joie.


Propos recueillis le 8 décembre dans le cadre de l’avant-première du film, à l’UGC Ciné Cité de Strasbourg.
La Passagère, d’Héloïse Pelloquet, en salles le 14 décembre 2022.


Par Emma Schneider
Photos Gregory Massat