Quels orchestres jouent dans le film ?
Bruno Chiche : Trois orchestres ont été formés exclusivement pour le film par Anne Gravoin. C’est le Maestro’s Orchestra [rires].
La collaboration d’Yvan Attal et de Pierre Arditi dans les Choses humaines a-t-elle joué dans votre choix d’acteurs ?
Bruno Chiche : Elle ne m’a pas influencé, mais m’a servi. Yvan et Pierre s’adorent. Pour ma part, j’ai connu Pierre à 19 ans, j’étais stagiaire sur un film de Robert Enrico et j’allais le chercher le matin. Il fumait clope sur clope dans la voiture, c’était une horreur. Je me suis vengé en tournant avec lui [rires]. Plus sérieusement, ça faisait très longtemps qu’on avait envie de travailler ensemble. Quand Yvan Attal est arrivé sur le film, il a fallu lui trouver un père et c’est vrai qu’il existe quelque chose entre Pierre Arditi et lui. Dans le film, père et fils ont un rapport conflictuel et je trouve paradoxal mais très payant que Pierre et Yvan s’adorent dans la vie. Car c’est ce qui existe entre les pères et les enfants, même quand ils ne s’entendent pas, il y a quand même de l’amour qu’on n’arrive pas à exprimer.
Entre Denis et François, plus qu’une rivalité, il existe un vrai problème de communication ?
Bruno Chiche : Denis n’est pas un homme lâche, mais il se retrouve dans une situation malencontreuse vis à vis de son père. Que peut-il lui dire ? « Je vais te voler ton rêve ? Ce n’est pas toi qui va aller à la Scala, c’est moi ? » C’est un enfer, il n’y arrive pas. Yvan Attal a réussi à trouver l’équilibre entre quelqu’un qui a le courage et l’envie d’aller à la Scala mais qui a également l’envie de ne pas y aller parce qu’il se dit : « Je vais détruire mon père. » Ce n’est pas facile de jouer le rôle d’un homme qui flotte.
Denis a-t-il seulement peur de décevoir son père ou également peur de se jeter à l’eau en acceptant de devenir chef d’orchestre à la Scala ?
Yvan Attal : Il y a un peu de tout. D’ailleurs, François prend cet exemple quand il rappelle à son épouse qu’un jour, lorsque leur fils était petit, elle l’a pris et jeté à l’eau pour le débarrasser de sa peur. Il s’aperçoit qu’il a été un père qui peut-être n’a pas donné entièrement confiance en lui à son fils, qu’il l’a peut-être un peu étouffé, à cause du succès qui est le sien. Je peux très bien relier ça à mes propres enfants. Quand je me baladais avec mon fils et qu’à 6-8 ans, il voyait dans la rue de grandes affiches avec son père, probablement, que ça fait quelque chose. J’espère que je n’ai pas à ce point étouffé mon fils, mais on est forcément écrasé par son père. À un moment, il faut prendre sa propre place et on rêve carrément de prendre la place de son père. C’est compliqué les rapports père-fils, je me demande si ce n’est pas plus facile d’être un fils que d’être un père. C’est d’ailleurs ce qui m’a bouleversé dans le film de Bruno. La musique participe à l’émotion du film mais l’histoire, c’est la relation d’un père et d’un fils et la rivalité qu’il y a entre eux.
Denis veut faire de sa compagne violoniste son premier violon. Davantage que son rêve à elle, c’est son ambition à lui.
Yvan Attal : Parfois, on projette des choses sur les gens, sans se soucier réellement de ce qu’est leur ambition. Denis vit avec cette femme, je crois qu’il l’admire, qu’il est conscient du chemin qu’elle a fait. Mais il veut la pousser plus loin. Effectivement, c’est difficile pour elle, pas forcément à cause de sa surdité, parce qu’on a des exemples de gens qui ont des handicaps et qui ont surpassé d’autres gens qui eux avaient tous leurs moyens. Mais simplement, ce n’est pas son ambition. Il y a des hommes et des femmes qui aiment avoir un conjoint dans lequel ils peuvent se regarder eux-mêmes. Je ne pense pas que ce soit une chose mal placée, mais c’est une manière de fonctionner, on a besoin d’aider l’autre, aussi parce que ça nous rend service. Je ne crois pas beaucoup à l’amour pur. L’amour, ce sont deux névroses qui se rencontrent. On a besoin de l’autre pour une raison particulière et pour se rassurer. Denis ne se soucie probablement pas de son ambition à elle, même si je pense qu’elle peut y croire un instant. Elle aimerait devenir premier violon sur le principe mais c’est aussi parce qu’il la pousse. Elle finit d’ailleurs par lui dire d’une manière très touchante : « Je suis très bien là où je suis, tu me fais chier. »
Vous avez choisi d’élargir les rapports père-fils à une troisième génération. Pourquoi ce choix ?
Bruno Chiche : Évidemment, la relation la plus importante se situe entre les personnages de Denis et François, mais la présence du petit-fils ajoute au scénario. Il est une courroie de transmission entre son grand-père et son père. On remarque aussi que si les rapports sont très tendus entre Denis et François, c’est parce que François a peur pour son fils, davantage que pour son petit-fils. C’est un film sur la transmission. Maintenant, j’aimerais faire un film qui développe le rôle d’un père avec un fils plus jeune.
François (Pierre Arditi) a un rapport avec son petit-fils qu’il n’a jamais eu avec son fils.
Bruno Chiche : C’est plus facile. Il y a beaucoup de cas comme celui-là. Gisèle Halimi a écrit un livre génial qui m’a beaucoup aidé lors de l’écriture de mon scénario. Elle raconte qu’à l’époque, alors qu’elle menait ses combats pour l’égalité, l’avortement … elle ne s’est pas occupée de ses fils. En revanche, sur le tard elle est tombée en amour pour sa petite-fille. Au point que ses enfants lui ont interdit de voir ses petits-enfants, jaloux de la relation qu’il y avait entre leur mère et cette petite-fille.
Yvan Attal : Mon père n’a jamais été avec moi comme il a été avec son petit-fils. Je pense que toute une vie on essaye de se construire, puis soudain on a un enfant, mais ça ne veut pas dire qu’on doit renoncer à soi. Ce temps passé avec soi-même est au détriment du temps qu’on passe avec nos propres enfants. Quand on fait un métier très prenant, qu’on vit avec passion, on ne voit plus ses enfants. On les abandonne un peu, car on a encore besoin de se réaliser. Mais en revanche, quand d’un coup un petit-enfant arrive, ce n’est pas le nôtre et c’est tellement plus facile.
Doit-on nécessairement aimer la musique classique pour voir votre film ?
Bruno Chiche : Le choix des musiques est particulier. J’ai choisi des musiques qui nous émeuvent, nous touchent et ont un pouvoir un peu universel. Je ne connais pas une personne qui ne soit pas sensible à l’Ave Maria de Caccini. Ce n’est pas un film élitiste sur la musique classique, ce sont des musiques très mélodieuses, très accessibles.
Maestro(s), de Bruno Chiche, sortie le 7 décembre 2022
Propos recueillis le 28 novembre lors de l’avant-première de Maestro(s), au cinéma UGC Ciné Cité de Strasbourg.
Par Emma Schneider
Photo Jess Bertrand