Paul Weller par Nicolas Sauvage

Nicolas Sauvage publie un ouvrage consacré à l’ex-The Jam et The Style Council, Paul Weller. Il resitue cette grande figure anglaise de la pop à sa juste valeur et sera d’ailleurs présent le 5 octobre 2019 à la Maison des Associations à Strasbourg pour en parler…

Paul Weller période The Jam.

Pourquoi vous êtes-vous attaché ainsi à Paul Weller, figure de la pop britannique ?
Nicolas Sauvage : Là, c’était Paul Weller, ça aurait pu être quelqu’un d’autre. La première chose qui s’est imposée pour moi au fil du temps et que j’ai essayé de retranscrire dans le livre – y suis-je arrivé ou pas, ça n’est pas à moi d’en juger –, c’est qu’il pouvait servir de fil conducteur sur un large pan de la musique britannique. Son parcours tentaculaire et son oeuvre polymorphe racontent les grandes mutations du paysage. Par ailleurs, je constatais qu’il n’y a jamais eu d’écrit français le concernant en France. Enfin, il constitue pour moi une véritable exception dans le sens où artistiquement il reste à niveau sur une longue période, ce qui est loin d’être le cas de la plupart des acteurs de la scène punk britannique des années 70.

Il a toujours exprimé cette volonté de surprendre.
Oui, je trouve admirable cette volonté de surprendre. Et surtout de se surprendre lui-même en premier. Il a gardé une certaine naïveté face à la musique qui fait qu’il s’en nourrit perpétuellement. Je trouve que ça contraste totalement avec ce jugement rapide et sentencieux à son propos qui vise à le résumer à sa culture mod façon Small Faces pour la faire courte. C’est tout l’inverse. Ce précepte du modernisme, il l’incarne précisément dans le sens où il continue d’avancer.

Cela ne vous a-t-il pas paru vertigineux de vous attaquer ainsi à 40 ans de carrière ?
Je vous avouerai que c’était surtout un plaisir. J’ai adopté une méthodologie simple qui consiste en une stricte chronologie : dès lors, je me suis attaché à dire tout ce que je souhaitais. J’ai fait le choix d’être exhaustif sur ce qu’il a fait et d’être le plus large possible sur l’époque à partir du moment où ça avait un lien assez direct avec sa musique.

Effectivement, vous avez écrit un livre sur sa musique.
C’est bien un livre sur la musique. Les éléments biographiques, je ne les ai amenés que s’ils avaient une incidence directe sur sa musique. Pour ce qui est de l’ordre du ragot, Weller n’est pas le meilleur client dans la mesure où il reste un homme relativement discret.

Vous resituez ses débuts dans le contexte de l’époque. D’emblée, il s’intéresse à la musique la plus populaire : la pop sixties, le rhythm’n’blues et la soul.
Je pense que c’est vraiment un homme du peuple au sens noble du terme. Il n’a jamais aspiré à être une pop-star. Il a plutôt privilégié un ancrage, ce qui fait que The Jam a privilégié une absence de barrière avec le public. Ça explique son statut assez particulier en Angleterre. C’est quelqu’un de très accessible, finalement.

On en oublie que le groupe a fini par s’imposer, au point de devancer les stars de l’époque.
Absolument, au début des années 80, The Jam était largement plus populaire que le Clash ou les Damned. Aujourd’hui, on a du mal à établir cette hiérarchie-là, mais les charts d’époque l’indiquent clairement : ça paraît étrange quand on tombe sur les classements du Melody Maker et qu’on trouve Ashes to Ashes de Bowie derrière Start de The Jam.

The Jam, comme les Kinks avant eux, ne réussissent jamais à exporter leur musique, ni sur le continent ni aux États-Unis. Sont-ils trop Anglais ?
Il y a forcément de cela. L’adhésion aux Jam est beaucoup passée par les textes. Pour un public non anglophone, c’est compliqué. Pour les États-Unis, les marottes sixties ne collaient pas à l’ère du temps, même si dans les obsessions de Weller on trouve beaucoup de musique afro-américaine.

Vous nous le rappelez, The Jam tranche également avec les autres groupes du mouvement punk.
Oui, dès le premier album, on découvre une reprise de Slow Down de Larry Williams ou le thème de Batman. Le groupe se distingue de suite. Autant les artistes du punk étaient fascinés par Bowie ou Roxy Music ou par les précurseurs du punk américain, The Stooges ou le MC5, autant les Jam ne s’inscrivaient pas dans cette culture. Ce qu’ils avaient en commun c’est qu’ils étaient jeunes, plein d’énergie et qu’ils se sont retrouvés dans le grand bain en même temps. Après, on le sait, il n’y a pas d’uniformité dans le punk.

Les aspirations de Paul Weller se situent effectivement ailleurs, il le prouve ensuite avec The Style Council, puis en solo. Il ouvre une voie à la pop anglaise dans les années 80, puis la décennie suivante.
C’est le cas avec ses apports empruntés à la musique soul. Ces éléments vont prendre beaucoup d’importance pour les générations qui vont suivre. Au début des années 80, les groupes anglais retournent à la source nord-américaine, soul et funk. Ensuite, il prend de nouvelles directions tout au long de sa carrière solo – la critique en France, notamment, n’est pas tendre avec lui – ; ses échecs ne sont pas si nombreux, et le Paul Weller que j’affectionne se situe souvent dans la période des années 2000. Ses 15 dernières années me paraissent parmi les plus abouties. Il ne s’est jamais installé – ou qu’à de très rares occasions – dans sa zone de confort. Si l’ouvrage permet la (re)découverte de cette partie de son oeuvre j’en serais absolument ravi.


NICOLAS SAUVAGE,
Life From A Window : Paul Weller et l’Angleterre pop
,
Camion Blanc

Rencontre avec l’auteur le 5 octobre 2019 à 14h
à la Maison des Associations, 1a place des Orphelins, à Strasbourg
(organisée par Gabba Gabba Hey, Hiéro Strasbourg
et la plateforme musiquesactuelles.net,
dans le cadre de son cycle sur le mouvement Mods)


Propos recueillis par Emmanuel Abela