L’upcycling,
remade in France

Dopée par la prise de conscience environnementale, le seconde main a fait son chemin dans la tête des consommateurs mais aussi des artisans. Dans les salons, ils sont de plus en plus nombreux à défendre des matériaux de base récupérés qu’ils s’attellent à réinventer. Un temps perçu comme un loisir créatif individuel, l’upcycling semble ainsi s’imposer comme une logique de travail à plus grande échelle. Mouvement durable ou tendance éphémère ?

L'upcycling, c'est par exemple récupérer des chutes de bois pour en faire des objets design, comme la designer Beatric Li-Chin Loos. © Simon Pagès
La designer strasbourgeoise Beatrix Li-Chin Loos conçoit ses objets de décoration et bijoux avec des chutes de bois récupérées localement. Photo : Simon Pagès

Popularisé en 2002 par les auteurs William McDonough et Michael Braungart dans leur ouvrage Cradle to Cradle. Créer et recycler à l’infini, l’upcycling consiste à récupérer des matériaux ou des produits dont on n’a plus l’usage afin de les transformer en objets de qualité supérieure. On parle ainsi de recyclage par le haut.
Parfois traduit surcyclage, le terme a été introduit par Reiner Pilz, un ingénieur mécanique reconverti dans l’aménagement intérieur qui déclarait en 1994 au magazine Salvo : « Le recyclage, j’appelle cela du downcycling [nda, recyclage par le bas]. Ils détruisent des briques, ils détruisent tout. Ce dont nous avons besoin c’est d’upcycling, pour que les produits inutilisés gagnent de la valeur au lieu d’en perdre. »

D’après cette définition originale, l’upcycling se distingue donc du recyclage par l’absence de transformation chimique, réduisant la consommation de ressources naturelles et d’énergies non-renouvelables. L’objet initial est récupéré, transformé et métamorphosé sans qu’il ne soit touché à l’intégrité de sa matière. Les impacts sur l’environnement liés à la production d’un tout nouvel objet, de même que la perte en qualité du matériau initial, en sont limités.

Aussi, si le recyclage permet de faire du neuf avec du vieux, le surcyclage permet de faire du beau avec du vieux, car il sublime fonctionnellement et esthétiquement un produit qui n’avait pas ou plus de valeur. En ligne, semble surtout mise en avant cette notion de sublimation esthétique.

De la « tendancisation » du terme

Un parti pris axé sur les tendances dans lequel ne se reconnaissent pas forcément tous les acteurs strasbourgeois. Lisa Burgstahler, présidente de l’association Creative Vintage, aime mieux parler de réemploi : « Dans le cadre de l’association, je parle davantage de réemploi parce qu’il y a dans l’upcycling cette idée qu’on nivelle vers le haut, et donc qu’on aboutit à un objet haut-de-gamme. C’est excluante. » Créée en 2015 pour valoriser l’ancien au profit du neuf via le très chic Salon du vintage, l’organisation s’attache depuis 2016 à promouvoir la réutilisation de l’existant à coup d’événements bien choisis. En septembre, elle a ainsi organisé Récup’moi si tu peux !, un village de la consommation durable en collaboration avec La Grenze. Durant deux jours, une quarantaine d’exposants s’y est employée à sensibiliser trois milliers de visiteurs au réemploi. Sur l’affiche, étaient mentionnés des « ateliers upcycling et DIY ».

Même son de cloche chez Newance. Né de la rencontre de Dina et Benoît, l’atelier de design a notamment imaginé le mobilier urbain de la rue du Jeu-des-enfants et la scénographie en palettes du Street Bouche Festival 2017. De l’upcycling pur jus. Pourtant le duo d’architectes s’avoue peu familier du terme : « Ce n’est pas un mot qui fait partie de notre vocabulaire. On a bien sûr entendu parler du concept, mais on l’associe surtout à des pratiques déco tendances. Le principe est bon, mais on observe que ça peut vite déborder… »

Par déborder, le couple sous entend : renier le caractère ancien de l’objet en le transformant lourdement avec des éléments neufs, désavouant l’avantage écologique de l’upcycling. Non pas que le choix de favoriser le réemploi tienne du militantisme pour Newance. « On favorise le réemploi parce que c’est tout à la fois : un exercice de créativité, une façon de laisser libre cours à notre pensée, de se laisser surprendre par la matière, de réagir en fonction, et la garantie d’un objet unique puisque détourné. L’écologie, l’économie, ce sont des conséquences positives de notre choix créatif. Et on aime l’idée de ne pas créer un problème en plus de notre création. »

Vases sculptures, upcylcing, design de Beatrix Li-Chin Loss © Simon Pagès
Beautiful planets, les vases-sculptures de Beatrix Li-Chin Loos faits à partir de chutes de d'orme notamment. Photo : Simon Pagès

La réappropriation d’un premier maillon

Car au-delà de l’avantage écologique, l’upcycling présente également un avantage économique, qui peut être pré- ou post-consommateur. Côté consommateurs, dans nos pays dits développés, nos grands-parents de classe populaire donnaient aussi une deuxième vie à leurs objets, non par conscience écologique mais par nécessité financière et absence de recyclage industriel oblige ! Pour les entreprises, comme le signalent Dina et Benoît, le coût de la matière première récupérée, détournée et revalorisée est très souvent moins important que le coût de la même matière neuve : « Le procédé rallonge la phase de recherche parce qu’on est dépendants de nos trouvailles, mais le temps de création pure est raccourci. Le problème c’est quand le projet est pour après-demain, ou que l’objet d’occasion exige une mise aux normes coûteuse… Là seul Amazon peut suivre. »

Cette question du coût appelle en fait une réponse ambivalente. Pratique typique de l’économie circulaire, l’upcycling permet, à partir de rebus mondialisés, de relocaliser la production d’objets sur le territoire français. Aussi, si l’achat de la matière première coûte moins cher aux créateurs, les emplois que sa valorisation nécessite coûtent plus cher que des emplois délocalisés. Le prix de la dignité humaine, qui vient doper l’économie locale, se répercute forcément sur le prix d’achat.
Du point de vue du consommateur, le prix d’un objet upcyclé est ainsi plus proche d’un objet neuf milieu voire du haut-de-gamme – on y revient ! –, que de celui pratiqué sur le marché de l’occasion « dans son jus ». Or si tous les objets upcyclés sont de seconde main, tous les objets de seconde main n’ont pas fait l’objet d’une transformation impliquant main d’œuvre et savoir-faire. Une différence non-négligeable, mais souvent ignorée.

« Mieux vaut un objet maladroitement upcyclé que définitivement jeté ! »
_ Lisa Burgstahler

En ce sens, l’upcycling est surtout l’apanage d’une production artisanale, cette question du coût limitant de fait la pratique à de petites et moyennes structures. À l’échelle industrielle, le modèle financier paraît difficilement tenable, en tout cas aujourd’hui, sans répercussion prohibitive sur le prix ou sans subventions. Peut-être une piste vers l’artisanat de demain, pas seulement made mais remade in France.

Qu’il découle d’un choix créatif ou militant, reste que les conséquences de l’upcycling, lorsqu’il est bien pensé, sont les mêmes pour l’environnement et pour l’économie. Et quand bien même, « mieux vaut un objet maladroitement upcyclé que définitivement jeté » selon Lisa Burgstahler. Aussi, si l’anglicisme semble assimiler une logique de consommation sensée et pas franchement récente à une tendance possiblement limitée dans le temps, n’est-il pas forcément nécessaire de s’en formaliser. Les tendances jouent aussi leur rôle dans la sensibilisation du grand public ; en témoigne la progression de la logique écologique dans les ateliers strasbourgeois (lire nos articles sur Patincoofin, Beatrix Li-Chin Loos et Tête d’orange). Upcycling ou réemploi, appelez-le comme vous voulez, le fait est que le principe va perdurer.


Par Chloé Moulin 
Photos Simon Pagès