Éléa Pardo, styliste
Avec ses créations tirées au cordeau, la créatrice du jeune label strasbourgeois Éléa Pardo/Dans la peau replace les vêtements au coeur de leur espace-temps.
Il travaille – déjà – avec les meilleurs. Ancien cuisinier reconverti en céramiste depuis un peu plus de trois ans, Rudy Surco s’applique au quotidien à mettre ses petits plats au service des grands.
Quelques notes de musique, un ou deux tabliers tachetés, sans oublier le traditionnel café allongé : tout semble en place. La journée de Rudy peut commencer. Comme chaque matin, dissimulé dans son atelier strasbourgeois bien planqué, le céramiste de 35 ans s’affaire à popoter. Il ne le répétera jamais assez : l’émail, c’est sa recette préférée. Après avoir joué au chimiste chevronné, Rudy moule, coule, façonne, estampe, tourne. À l’intérieur du vaste local de 120 m2, c’est un infernal ballet de terres cuites qui se joue, toutes en lice pour espérer remporter le titre de la plus chouette des assiettes.
Vaisselle à la pelle
Il faut dire qu’il en a, Rudy, des petites auges raffinées. C’est sa spécialité. Étagères, fours, tables… pas un seul recoin de son repaire n’est épargné. Et bien malheureux est celui qui s’amuserait à vouloir les compter. Perfectionniste, le céramiste n’hésite jamais à en jeter par poignées. « S’il y a un petit défaut, quelque chose qui ne me plaît pas, je ne les montre pas, ni ne les vends. Je ne les donnerais même pas à mes proches ! » Ce qu’il préfère ? Jouer sur les volumes, les arrondis, les contours symétriques mais aussi ceux un peu fêlés, ne perdant rien de leur beauté. « Je crée également des objets par accident, qui sortent après avoir fait des tests inattendus. L’important, c’est d’être en constante recherche, toujours essayer, faire de son mieux. » Pour y parvenir, Rudy s’inspire sans réserve des mondes gastronomiques. Celui du produit noble, cuisiné, mais aussi celui du dressage. Une fois devant les convives, ceux-là ne doivent faire qu’un. L’artiste le sait bien car avant de nouer ses tabliers criblés d’argile dans son atelier, il en a raccroché d’autres au tissage plus pailleté.
L’obsession du dressage
Difficile pour Rudy de parler de vocation lorsqu’il s’agit de cuisine. Bien loin d’être tombé dans la marmite étant petit, son truc à lui, c’était de devenir militaire à tout prix. Mais à l’heure de devoir mettre du beurre dans ses épinards, Rudy choisit, un peu par hasard, la gastronomie. C’est sur ses terres du Pérou que le jeune homme grandit, se forme, et côtoie rapidement l’excellence culinaire de sa patrie. Tantôt barman, tantôt cuisinier, Rudy jongle entre les institutions prestigieuse et les chefs renommés, aiguisant ses couteaux aux côtés de Gastón Acurio, sacro-saint maître queux de la gastronomie péruvienne. Il y a huit ans, lorsqu’il rejoint la France et continue à explorer sa « cuisine plaisir » à la Brasserie des Haras de Strasbourg, il devient obsédé par le dressage. Ce qui le fascine ? « Le contraste, la couleur, la matière, qui viennent mettre en valeur le produit. » La brillance du légume beurré opposé au mat du contenant.
Cuisinier en deux façons
Alors Rudy se lance, d’abord en cours du soir. Puis tout s’enchaîne : les stages à l’Institut européen des arts céramiques de Guebwiller, l’année de formation pour officialiser la passion, la création de sa marque Plato Surco et la première commande du chef étoilé Yannick Germain à l’Auberge au Boeuf. « J’ai tout arrêté et je m’y suis consacré à fond. Je me sens toujours comme un cuisinier, mais qui crée des assiettes pour d’autres. » Pour lui qui n’a jamais vraiment quitté les fourneaux, créer un émail est semblable à l’assemblage de ses sauces : « C’est comme du sucre où tu ajoutes du l’eau. Lorsque ça fond, ça caramélise, ça peut être trop épais, il faut alors tout ajuster. C’est de la chimie. Tout dépend du type de cuisson, de feu, du refroidissement. » Et le céramiste tient, là encore, au fait-maison. « Certains utilisent des émaux tout prêts, c’est comme une sauce tomate industrielle pour un cuisinier. » Une aberration.
Au grès des rencontres
Aujourd’hui, c’est Instagram, sa vitrine 2.0, qui lui permet d’échanger directement avec des chefs du monde entier. Parmi ses clients, il peut par exemple compter sur le très médiatisé Jean-François Piège, mais exporte aussi ses pièces de Barr à New York, en passant par Courchevel et Saint-Tropez. Jusqu’alors, le céramiste s’est adapté aux demandes des cuisiniers. À travers ces échanges, il cherche aussi à cheminer vers sa propre identité. « J’apprends énormément de choses aux côtés de ces grands noms de la gastronomie, cela me nourrit et me donne beaucoup de confiance pour la suite », glisse-t-il en entrouvrant la porte du four où mijotent tranquillement quelques terres pour un certain Alain Ducasse.