Distillerie Bertrand, savoir-faire et audace

Uberach : troisième et dernière étape. Après la Distillerie Hepp et la Brasserie Uberach, nous nous rendons, pour le point final de notre reportage, à la Distillerie Bertrand.

Distillerie Bertrand, gérée par Jean Metzger, qui a notamment inventé le Biersky, un whisky aromatisé à la bière. © Milan Szypura
La distillerie artisanale Bertrand, gérée par Jean Metzger, qui a notamment inventé le Biersky, un whisky aromatisé à la bière.
Photo : Milan Szypura

Créée par Joseph Bertrand en 1874, la maison maintient depuis plus d’un siècle l’exigence de la tradition familiale, « pour l’amour de l’ouvrage bien fait ». Nous avons rendez-vous avec Jean Metzger. Une fois garé sur le parking, on me prévient : l’homme est un personnage. Nous rentrons dans le bâtiment et sommes cueillis par une odeur soutenue d’alcool et de whisky, pas d’erreur, nous sommes au bon endroit. La cage d’escalier de l’entrée atteste des 120 ans de maîtrise de l’art de la distillerie, les murs sont recouverts de récompenses. On nous annonce à la réception. Emplissant les couloirs, la voix sonore de M. Metzger précède son arrivée. La première rencontre est à l’image du monsieur : spontanée et chaleureuse. On se tutoie d’emblée, Jean est pressé, pour lui, l’urgence, c’est de nous faire découvrir le restaurant qu’il a choisi pour le déjeuner, « on peut aller à l’Étoile d’Or, c’est mardi, c’est cassoulet, vous verrez, on sera très bien reçus et comme je connais bien la maison, je peux ramener mes propres bouteilles, vous êtes plutôt blanc ou rouge ? ». Le ton est donné.

Se poser, nous en aurons besoin pour l’interview, car la visite se fait à 100 à l’heure. A la fois responsable commercial et éleveur, Jean est là pour s’assurer de la qualité des produits Bertrand et de leur promotion. Ce curieux de tout au parcours atypique (il a été tour à tour DJ, vendeur de snowboards et maître-nageur) déborde d’énergie. Nous arrivons à point nommé, «je viens de recevoir un fût de chez Bendorf ! » Ni une, ni deux, nous sommes dans l’entrepôt où un de ses collègues vide le fond de bière restant (une Imperial Stout fumée). Jean m’invite à mettre le nez dans le tonneau, pour m’imprégner des arômes. Interloqué, je lui demande ce qu’un fût de bière fait dans une distillerie, « c’est pour une future gamme de whisky, vieilli en fût de bière ». Quand on vous dit qu’il est curieux de tout, et de me faire goûter dans la foulée ledit whisky qui viendra prendre place dans la barrique, « après il faut laisser faire le temps, 65% de la qualité est liée à l’élevage ».

Whisky de la distillerie Bertrand. © Milan Szypura
Whisky de la distillerie Bertrand. Photo : Milan Szypura

A l’activité de distillerie classique s’est ajoutée en effet celle de production de whisky. Une diversification qui fait sens lorsque l’on sait que les ingrédients de base du whisky sont l’eau et le malt. Et du malt, il y en a à la brasserie Uberach. Ce malt – ici de l’orge maltée – est broyé pour former une farine appelé le grist. Le grist est ensuite mélangé à de l’eau chaude, de ce brassage ressort un moût, auquel on ajoute des levures pour la fermentation. Cette nouvelle base, le wash, est distillée et, enfin, vieillie dans des barriques en fût de chêne. Chez Bertrand, on a ainsi lancé la production en 2003 pour une première bouteille commercialisée en 2006. Depuis, d’autres acteurs ont fait leur entrée sur le marché et ils sont désormais une dizaine à produire du whisky Made In Elsass. Sur les barriques entreposées, s’égrènent les noms des grandes maisons vigneronnes de France. Certains whisky vieilliront ainsi aussi longtemps que le vin qui était dedans avant, « pour honorer le travail du vigneron ». Jean doit d’ailleurs partir sous peu dans le Jura ; son idée, recréer un whisky vieilli en fût de vin de paille.

Si la distillerie d’eau-de-vie existe toujours grâce au soutien de Wolfberger, l’accent est donc mis sur le whisky mais toujours avec le souci d’exigence propre à Joseph Bertrand, « le produit doit être le plus naturel possible, pour nous c’est juste normal de travailler comme ça, pas besoin de poser une étiquette bio » tempête Jean. Célébrer le patrimoine de la distillerie Bertrand, mais aussi le faire évoluer avec des produits comme le Biersky, « notre spécialité ». Mais vient l’heure du déjeuner. La meilleure table nous a bien été réservée et c’est tout naturellement que Jean nous sert un verre de vin issu de sa propre cave, « ça fait trente ans que je stocke, il faut bien commencer à les boire ». En attendant notre cassoulet, Jean nous présente la boisson qu’il a créée il y a quatre ans maintenant, un coup du hasard qu’il a su transformer, le Biersky donc, un assemblage d’eau-de-vie de bière et d’eau-de-vie de malt. C’est le moment de lui demander comment le qualifier : est-il maître-éleveur ? Trop créatif et probablement trop humble pour être flatté par une étiquette institutionnelle, il rétorque : « pas maître, je suis comme je suis ».

Jean Metzger, dans son entrepôt de la Distillerie Bertrand. © Milan Szypura
Jean Metzger, dans son entrepôt de la distillerie Bertrand. Photo : Milan Szypura

L’alchimiste

Personnage au parcours épatant, Jean Metzger consacre désormais toute son énergie à la valorisation du savoir-faire de la distillerie Bertrand. Connue pour ses eaux-de-vie, la maison fut également une des premières à produire un whisky 100% alsacien. Un patrimoine à préserver et faire connaître mais aussi à dynamiser. C’est là qu’on retrouve toute l’inventivité de Jean Metzger qui sait transformer le hasard en coup de maître, « le Biersky, c’est quelque chose qui n’existait pas, c’est une expérience de vieillissement d’eau-de-vie de bière ». Une idée que Jean oublie dans son tonneau et redécouvre quelques années plus tard ; « j’y ai alors ajouté du malt ». Le Biersky était né mais pas encore baptisé, c’est en revenant de Berlin (où il prospectait pour la distillerie), pendant un voyage de 8 heures en voiture, que ce nom lui est venu, « ni une ni deux, je l’ai déposé le lendemain ». Une success story dont on peut déguster les arômes à la fois fruités et biscuités, un spiritueux doux et qui se marie à merveille avec certains desserts, « un Uberach Coffee (inspiré de l’Irish Coffee) ou un baba au Biersky, c’est excellent », nous confirme Jean. L’alchimie continue.

Le premier épisode de la série : Distillerie Hepp
Le deuxième épisode de la série : Brasserie Uberach


Distillerie Artisanale Bertrand
3, Rue du Maréchal Leclerc à Uberach
03 88 07 70 83


Par Aurélien Montinari
Photos Milan Szypura