Dreher : entre deux rives

Née à Kehl en 1987, la boulangerie-pâtisserie-traiteur Dreher a passé la frontière en 2013 en ouvrant sa première boutique à Strasbourg. À cheval entre l’Allemagne et la France, elle a gardé l’ADN familial, ses recettes typiques et a modernisé… tout le reste.

ZUT-Magazine—Boulangerie-patisserie-traiteur—Dreher—Strasbourg-©Alexis-Delon:Preview
Photo : Alexis Delon / Preview

L’ouverture d’une première boutique en 2013 à Strasbourg puis d’une seconde en 2015 aurait pu induire le commun des mortels sur une fausse piste : non, Dreher n’est pas une franchise, ni une nouvelle chaîne à l’abordage du centre-ville de Strasbourg. Son fonctionnement est entièrement familial ; sa maison-mère se situe à quelques pas à peine du terminus de la ligne D du tram à Kehl. Cette vaste boulangerie-café moderne a ce qu’il faut du charme des salons de thé à l’allemande : d’énormes gâteaux appétissants (Nusstorte, Cremetorte, Sahnetorte…) appelant au Kaffee Kuchen, une pergola verdoyante parfaite pour un petit-déjeuner à l’abri des regards.
Un signe clair que Dreher n’a pas renié ses racines en cédant à la tentation de la tendance : ici, les dingues des cafés de baristas trouveront leur compte, tout comme les aficionados de l’authenticité. Dreher se situe en fait dans l’entre-deux (et ce, à tout point de vue), la synthèse parfaite entre deux générations incarnées par les deux gérants, tous deux maîtres-boulangers : le père, Thomas, 59 ans, fondateur de la maison et garant de son esprit ; le fils, Benjamin, 29 ans, qui s’est aussi formé au commerce et reste à l’affût des tendances. La nouvelle baguette à l’épeautre, c’est son idée.

Entre artisanat et industrie

Les sous-sols de la maison-mère abritaient autrefois les deux laboratoires : boulangerie et pâtisserie. Aujourd’hui, les gigantesques gâteaux sont toujours préparés ici, tout comme les salades, sandwichs et petits plats alimentant la partie traiteur et le restaurant. Tout le reste – autant dire, le cœur de métier de Dreher, il n’y a qu’à regarder leur logo – a migré en 1995 dans la zone commerciale de Kehl, une vraie fourmilière où se croisent une vingtaine de boulangers allemands et français.

« Il nous faut rester une entreprise à échelle humaine. »

Les gestes sont concentrés, assurés (on n’aura jamais vu une bretzel aussi rapidement nouée, à la main) et le bal, incessant, réglé comme du papier à musique : des pains, kougelhopf, ou autres brioches sortant des fours, des bretzels passant sous le jet de bicarbonate, la pâte sortant du pétrin… Tous se croisent sans jamais se bousculer. Des gestes, partout : autour des trois pétrins, autour des fours à étages (cuisson sur pierre) ou rotatifs, autour des cagettes qui viennent remplir les 6 camionnettes qui attendent de livrer les 18 magasins de la maison disséminés entre Oberkirch, Kehl, Strasbourg et Achern. Première livraison : 6h30, deuxième livraison : 9h30, avec la contrainte de passer à la maison-mère pour embarquer les pâtisseries, tout juste préparées.
Et c’est peut-être un détail pour vous, mais pour eux ça veut dire beaucoup : père et fils sont tous les matins au laboratoire. « C’est important pour nous de garder le lien au produit, et nous garderons cet état d’esprit coûte que coûte, explique Benjamin Dreher. Nous voulons bien faire les choses, expérimenter, et pour ça, il nous faut rester une entreprise à échelle humaine. » C’est sûr, les fours rotatifs où peuvent être réglés la température, le taux d’humidité, la vapeur et, bien sûr, le temps de cuisson, ne font pas partie de l’attirail habituel de la boulangerie de quartier, mais ils permettent aux boulangers – qui restent entièrement dédiés au façonnage et gardent l’œil, et le bon, sur les cuissons – d’assurer une production constante, mais surtout, de se concentrer sur les recettes fidèles à l’exigence de la maison (l’équipe crée régulièrement de nouveaux produits) et de s’assurer d’une cuisson parfaite.
Il n’y aura qu’à goûter leur kougelhopf pour le constater : le côté sec – parfois étouffe-chrétien – de ce symbole alsacien (et allemand !) laisse place au moelleux et à la gourmandise. « Nous sommes guidés par le plaisir et le bon sens, répond Benjamin Dreher. On ne doit pas s’empêcher d’interpréter une recette si nous jugeons que nous pouvons faire plaisir à nos clients, en leur garantissant une qualité supérieure. » Le levain est naturel, les recettes typiques de la maison et de l’époque où l’histoire Dreher a commencé. En fait, la maison Dreher conserve de l’industrie la technologie, tout le reste, elle le maîtrise de A à Z : recettes, fabrication, commercialisation, marketing et livraison. Hors de question de fonctionner autrement.

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Photos : Alexis Delon / Preview

Entre deux rives

À l’arrivée dans l’entreprise de Benjamin Dreher, le fils, en 2013, alors qu’il est encore étudiant, il sent que l’amitié franco-allemande passe à la vitesse supérieure. « À cette époque, j’ai constaté une accélération des relations de voisinage entre les deux pays et les deux villes. Enfant, je ne mettais jamais les pieds à Strasbourg et, peu à peu, il est devenu plus simple de circuler. 70% de la clientèle du Café Backhaus Dreher était déjà française, ouvrir à Strasbourg a été déterminant. » Son père, discret au laboratoire (probablement confronté à la barrière de la langue), confirmera que son fils a accéléré le développement de la maison : « C’est une vision que j’avais, il l’a concrétisée. » Benjamin engage les travaux dans la maison-mère avant l’arrivée du tram – il faut bien dire qu’il a eu le nez creux – et multiplie les collaborations outre-Rhin.
Ainsi, les moules en terre cuite viennent de Soufflenheim, le site Internet a été créé par l’agence strasbourgeoise Pan !, les photographies réalisées par la plateforme créative 128db, autre Strasbourgeoise du gang. Mais bien au-delà de ces gestes forts qui appuient une volonté certaine de créer des liens concrets, Benjamin Dreher souhaite aussi rendre à sa région tout ce qu’elle lui offre. Ce qu’elle lui offre ? Des produits bien sûr, on pense aux fruits provenant de la Forêt Noire, mais aussi des traditions : « Ici, entre l’Alsace et le Bade-Wurtemberg, il y a une intensité de produits saisonniers qu’on ne connaît pas ailleurs : toutes ces recettes témoignent d’une tradition culinaire dans laquelle nous sommes profondément ancrés. »
Le développement, ils le pensent à la même échelle : humaine toujours, pour que la famille veille au grain. Benjamin apporte son lot de nouveautés : des recettes qui lui viennent en observant les tendances alimentaires (le retour des farines anciennes, notamment), mais aussi des possibilités offertes par Internet. À Noël dernier, ils ont lancé un e-shop : première commande ? Des bredele, direction la Corse. Les client.e.s des boutiques ont aussi la possibilité de réserver leurs produits, pratique lors des grandes affluences ! Encore une fois : il s’agit de profiter du meilleur des nouvelles technologies. Point barre. Alors, la franchise, franchement, ils n’y pensent même pas. Seul rêve : ouvrir un café semblable à celui du centre-ville de Kehl à Strasbourg…


Dreher Kehl – centre-ville
Hauptstraße 82

Dreher Strasbourg
5, place du Corbeau
50, rue des Grandes Arcades

Toutes les autres adresses et les informations
www.drehers.eu


Par Cécile Becker
Photos Alexis Delon / Preview