Culte : N°19 de Chanel, 1970

Nez | Henri Robert

L’histoire du N°19, c’est l’histoire d’une renaissance. Celle de la mythique maison Chanel, qui connut après-guerre un long passage à vide. Exilée en Suisse en 1944, Coco ne rouvre sa maison de la rue Cambon qu’à son retour en 1954. C’est l’époque du triomphe du New Look de Christian Dior, dont la jupe corolle et la taille marquée ringardise la silhouette androgyne et austère de Chanel. La maison cherche alors un nouveau souffle. Elle le trouvera enfin à la fin des années 60, avec le fameux tailleur en tweed et le sac 2.55, qui, aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, lui attirent à nouveau une clientèle jeune. Coco voudrait accompagner cette renaissance et ce nouveau style par un parfum, destiné lui à la nouvelle génération. Chanel n’a pas lancé de parfum depuis 1928 et le sublime Cuir de Russie. Le N°5 est toujours l’emblème de la maison, mais les ventes s’essoufflent.

Coco veut quelque chose de plus frais, de plus vif, quelque chose dans l’air du temps. Et l’air est aux chyprés, construits sur fond âcre et chaud de mousse de chêne. Henri Robert lui compose un jus à l’équilibre remarquable. Les notes vives et vertes du galbanum en tête sont bien présentes, et pourtant en retenue. Les aldéhydes sont juteux et propres, mais moins aigus que ceux du N°5. La blancheur cotonneuse et poudreuse de l’iris vient tempérer cette vivacité, et repose sur un fond altier, comme toujours chez Chanel. Le N°19 réussit à combiner la douceur et la distance caractéristique de la parfumerie maison. Il ne traduit pas une féminité enveloppante et bienveillante (un peu comme Mademoiselle Chanel…) : c’est un parfum cérébral et complexe, à la fois masculin et aérien, fort et doux, au raffinement absolu et aux matières premières d’une qualité exceptionnelle. Pour lui rendre honneur, il convient de l’associer aux volumes contemporains, et d’éviter le tailleur qui s’est, depuis, embourgeoisé. Ce N°19, 19 comme la date anniversaire de Coco Chanel (le 19 août), sera son dernier coup d’éclat. Elle décède l’année suivante, après avoir révolutionné la silhouette féminine. 


Par Sylvia Dubost
Illustration She BAM Studio