Parfum culte : Miss Dior de Christian Dior, 1947 - Illustration : Laetitia Gorsy

Culte : Miss Dior de Christian Dior, 1947

Parfumeurs | Jean Carles & Paul Vacher

Et puis il y eut la guerre… Et comme la vie tout entière, la parfumerie connut une longue éclipse. Lorsqu’elles reprennent toutes les deux, elles sont gonflées d’une énergie qui ne demande qu’à déborder à nouveau. Ça donne le baby-boom, et un faste que le milieu de la mode n’a plus connu depuis longtemps.
L’arrivée tonitruante de Christian Dior est un signe des temps. Après avoir œuvré entre autres chez Robert Piguet (qui s’est adjoint la revêche et entière Germaine Cellier, première femme parfumeur, dont on parlera très bientôt ici), il ouvre sa maison de couture en 1946. Son premier défilé l’année suivante, avec sa ligne corolle, baptisé New Look par la rédactrice en chef de Harper’s Bazaar, est un succès immédiat. Avec des modèles aux bustes et à la taille très marquée, il renverse l’allure des 40’s et lui donne à la fois un coup de frais et de sensualité. Et pour accompagner ses robes, Dior se saisit de l’accord chypré, plutôt réservé aux hommes. Miss Dior, nom choisi en hommage à sa sœur Catherine, résistante, est pour lui le parfum de la femme d’après-guerre : sensuel, jeune et indémodable.
C’est ainsi que Dior le veut, ce n’est sans doute pas tout à fait ainsi qu’on le sent. Le cœur intensément fleuri est une débauche de fleurs blanches capiteuses : jasmin, narcisse, néroli, rose et muguet. Pourtant, ce sont des notes de sous-bois caractéristiques des chyprés qui dominent : mousse de chêne, patchouli, vétiver, ciste-labdanum, ambre. Inspiré de Vol de nuit de Guerlain (1933), mais sans les notes chaudes, et surtout du Crêpe de chine de Millot (1925), Miss Dior est un adieu aux accords fleuris et orientaux. La femme Dior porte bien une jupe, mais son caractère est trempé et son sillage androgyne. Très puissant et presque hautain, celui-ci évoque pour l’historienne des parfums Elisabeth de Feydeau les héroïnes d’Hitchcock : sanglées dans un tailleur, aux faux airs de bourgeoises coincées sous lesquels le feu couve. Une dualité qui parcourt toute l’histoire de la parfumerie mais prend toujours des accents différents…

Tippi hedren les oiseaux hitchcock Miss Dior parfum
Tippi Hedren dans Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock

Aujourd’hui un peu daté, surtout parce que les reformulations à répétition l’ont beaucoup fait souffrir, il est désormais considéré par sa maison-même comme un parfum vintage… Dior a choisi de « jeuniser » sa ligne en lui ajoutant du fruit et du sucre. Nommé Miss Dior chérie dans un premier temps, puis Miss Dior tout court, le nouveau parfum emblème de la marque a relégué celui de 1947 au fond de la gondole, avec le sous-titre « L’original » (sous-entendu, le vieux). C’est un peu triste et surtout injuste… Car à condition qu’on ne le réduise pas à sa caricature en le portant trop sanglé, justement, (on préfère l’option tailleur pantalon noir parfaitement coupé et baskets), il sait rester moderne, et d’une classe bien au-dessus de ses voisins de rayon…

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Vent Vert, Balmain
Parfumeuse : Germaine Cellier.
Une overdose de galbanum pour un coup de fouet paradoxalement frais et doux. Un chef-d’œuvre dont la version actuelle n’est plus que banalité.

Le Dix, Balenciaga
Parfumeur : Francis Fabron.
Une merveille de douceur poudrée à la violette, dont la disparition récente nous a déchiré le cœur.


Parfum disponible au Printemps, aux Galeries Lafayette et chez Sephora


Par Sylvia Dubost
Illustration Laetitia Gorsy