Le Covid-19 a-t-il profondément modifié l’édition que vous aviez imaginée ?
Mon idée initiale était arrêtée en fin d’année dernière, il en reste 85%. Il y avait l’idée d’inviter pas mal d’artistes japonais autour de Ryoji Ikeda [5 spectacles autour de ce compositeur et artiste visuel sont déployés au sein de la programmation, ndlr], notamment des artistes des musiques électroniques, ça n’a pas été possible. On avait des projets qui venaient d’Amérique du sud que nous n’avons pas eu le courage de maintenir : on a préféré reporter à une édition ultérieure. La crise sanitaire, on l’a jaugée très tôt. Nous avons travaillé pendant tout le confinement pour maintenir et aménager cette édition. Je peux vous dire que même maintenant, sur le plan des salles et le placement du public, le directeur technique devient fou. C’est un travail énorme !
Cette situation demande au milieu culturel d’inventer de nouvelles formes, de travailler sur des propositions qui respectent le protocole sanitaire. En parallèle, la municipalité a changé. Des conditions réunies pour une nouvelle donne ?
On parle de quelque chose qui doit advenir, c’est difficile… Mais il ne faut pas créer de fausses espérances, et surtout sur le champ politique. On vit beaucoup sur des discours et très peu sur des actions. Si la nouvelle municipalité est courageuse sur le plan culturel, on fera des choses et on fera des choses incroyables. Est-ce que c’est la bonne période ? D’un côté oui, puisqu’en terme de relations entre les structures, nous sommes allés plus loin. De l’autre côté, on n’est pas à l’abri d’un retour de bâton conservateur, car il y a beaucoup d’inquiétudes. Le fossé entre les générations est bien présent : sommes-nous – nous, jeunes actifs progressistes – en capacité de rassurer l’ancienne génération ? Sommes-nous vraiment en dialogue avec eux ? Sommes-nous dans le même temps en mesure de comprendre la nouvelle génération ? On ne présente pas leur discours… et je ne parle même pas des classes sociales… Si on veut arriver à quelque chose, c’est un travail énorme. Il faut considérer qu’on est face à une montagne et il faut avancer, aller vite et monter des projets. Si on reste attentiste et qu’on continue à nourrir l’existant, rien ne changera à Strasbourg.
« Strasbourg se repose sur ses lauriers »
Que manque-t-il précisément à Strasbourg ?
Il y a d’abord une problématique de lieux. Ce qui me tient le plus à cœur, c’est la question du lieu à l’année : d’être en capacité d’accueillir des artistes à Strasbourg pour travailler, mais que ce travail puisse être partagé avec des artistes et des compagnies locales, avec des gens, dans les quartiers.
On aurait idéalement besoin d’avoir des pôles pluridisciplinaires dans l’Eurométropole. Certains lieux existent déjà, d’autres pas encore. Je pense à La Coop : un projet dont je ne vois pas la nature sociale et culturelle. Il est primordial qu’il y ait un projet d’émancipation culturelle et artistique dans cette zone qui ne se restreigne pas à la Virgule [partie du projet où sont installés des artistes, des collectifs, des créatrices et créateurs de tout poil, ndlr] et à des espaces de travail, mais qu’il y ait des lieux de représentation et de convergence. Je pense aussi à des quartiers comme l’Elsau qu’on devrait alimenter beaucoup plus… On a des équipements à Strasbourg qui sont obsolètes ou difficilement utilisables : le Palais des fêtes – en dépit de sa rénovation –, le théâtre de Hautepierre dont les équipements techniques sont en train de vieillir faute de mise à jour. Si on le laisse trainer encore une mandature, il va rentrer dans une phase qui sera difficile à gérer. On rêverait que les Halles Citadelle deviennent des lieux d’enjeux culturels plutôt que des lieux d’enjeux économico-immobiliers…
Il manque peut-être aussi de la cohésion, c’est ce qu’on attend un peu de la Ville. L’horizontalité, on la pratique dans le milieu culturel, on est assez équipé là-dessus, mais il faut du starter, mettre quelques éléments de méthodologie et des dispositifs qui permettent d’engager ce dialogue et très vite, de l’amplifier. Pendant le confinement, on s’est mis autour de la table avec plusieurs structures culturelles, c’est une idée, mais c’est insuffisant car il faut que des acteurs associatifs et des acteurs de quartiers soient associés. Il faut briser le « high-low » : d’un côté les gens de l’art institutionnel, de l’autre les gens du monde associatif et culturel qui peuvent parfois se sentir méprisés.
Sur ces trois volets : les lieux, la capacité d’accueil et la capacité de dialogue se joue l’enjeu de Strasbourg, qui se repose sur ses lauriers. C’est une grande ville de culture, on l’adore, mais pendant qu’on se regarde le nombril – et je parle globalement, de nous tous –, Metz embarque le label Ville Unesco Musique alors que notre histoire et notre potentiel sont importants à Strasbourg. Nous n’avons pas eu l’opportunité d’être capitale européenne de la culture alors que ça tombe sous le sens. Et puis, on ne défend pas assez notre position européenne dans les arts et la culture. J’aimerais bien qu’on me cite quel est le projet européen majeur inscrit à Strasbourg, visible à l’international et qui est financé sur des fonds européens – il n’y a pas de projet emblématique et pour moi, c’est problématique. Pourtant, on a plein d’outils, de festivals, Contre-temps, Pelpass, Jazzdor, Django…