Illustration pour la parfum Chamade, lancé en 1969 par la maison Guerlain © Laetitia Gorsy

Culte : Chamade de Guerlain, 1969

« 69, année érotique », annonçaient Jane et Serge dans une rengaine iconique sortie l’année précédente. Érotique, elle le fût en effet, et surtout libérée. La révolution sexuelle est en marche, les mini-jupes inondent le marché, le corps des femmes est en passe de leur appartenir. La mode et la parfumerie sont au diapason de l’époque, et Paco Rabanne lance cette année-là son parfum Calandre, fleuri métallique qui évoque pour lui un couple faisant l’amour sur le capot d’une voiture… Pour Jean-Paul Guerlain, petit-fils du grand Jacques et parfumeur maison depuis 1959, héritier de la grande bourgeoisie parisienne, cette révolution est moins ébouriffée. Ce génie (on dit qu’il est capable de reconnaître mille notes), qui offrira à la maison familiale des créations essentielles pendant un demi-siècle, signe ici son premier chef-d’œuvre. On lui doit déjà Chant d’arômes, sortie en 1962, fleuri aldéhydé classique ; pas un grand parfum, mais sa gaité et son charme incomparables en font un de nos favoris personnels (fin de la digression).

Extrait de La Chamade d’Alain Cavalier, d’après Françoise Sagan

Chamade est clairement une ode à l’amour et à la sensualité. Une sensualité plutôt bien peignée, donc, comme Catherine Deneuve dans La Chamade, adaptation d’Alain Cavalier du roman de Françoise Sagan auquel JP Guerlain, grand amoureux de littérature, rend ici hommage. Mais tout de même, cette femme en couple en aime un autre et se réfugie en Suisse pour avorter… Car la chamade, c’est d’abord le rythme particulier des tambours de l’armée napoléonienne annonçant la retraite, c’est la raison qui cède au cœur et/ou au corps, c’est le choix libre et paradoxal de succomber.

Un départ vif et vert où dominent le piquant froid de la jacinthe et la verdeur fruité du bourgeon de cassis, utilisé pour la première fois en parfumerie ; un cœur floral opulent où jasmin, rose et ylang-ylang se mêlent dans un bouquet somme toute presque classique mais particulièrement somptueux ; un fond chaud et crémeux de benjoin, santal et vanille, tellement Guerlain et à la tenue si spectaculaire qu’on le retrouve l’hiver suivant au creux d’une écharpe. Avec le piquant en leitmotiv, ce parfum changeant trace un voyage olfactif sidérant qui dure de longues heures. Tour à tour gai, frondeur, amoureux et langoureux, certains ont vu dans cette succession de facettes l’inconstance de la femme. On peut aussi y voir les étapes d’un voyage amoureux ou érotique : piquer, succomber, s’alanguir. Rarement telle maîtrise fut si émouvante, rarement un parfum n’eut autant de beauté et de génie. Inégalable et inégalé.


Disponible aux Galeries Lafayette et au Printemps

De façon tout à fait incompréhensible, Guerlain a supprimé la version eau de parfum, à notre nez, bien plus réussie que l’eau de toilette. Reformulée, celle-ci a perdu de sa profondeur et échoue comme beaucoup d’autres dans le flacon abeilles de la marque, ce qui ne rend pas justice à sa singularité…


Par Sylvia Dubost
Illustration : Laetitia Gorsy