Parfum culte : Eau d'Hermès, Edmond Roudnitska, 1951 - Illustration : Laetitia Gorsy

Eau d'Hermès de Rochas, 1951

Parfumeur : Edmond Roudnitska

En 1944 émerge sur la scène l’un des plus grands génies de la parfumerie. Edmond Roudnitska crée pour Rochas un fleuri-fruité où domine la rare note de prune : Femme, son premier parfum, est un succès planétaire. Cet autodidacte, électricien de formation qui apprend la parfumerie sur le tas dans une maison de Grasse où il est affecté à un laboratoire, signera quatre autres créations pour la maison de couture. Lecteur convaincu de L’Esthétique de Kant qu’il reprendra dans son L’Esthétique en question, il développe une philosophie de l’odorat et défend la parfumerie comme le 8e art. À la fin des années 40, sa rencontre avec Christian Dior et le lancement de Diorama marque le début d’une des collaborations les plus fécondes de l’histoire de la parfumerie. Mais avant Diorissimo et Eau sauvage, chefs-d’œuvre absolus dont nous reparlerons ici, ce parfumeur cérébral fait une infidélité à Monsieur Dior.

Edmond Roudnitska - Eau d'Hermès
Edmond Roudnitska

Émile Hermès, fils du fondateur Thierry Hermès, lui demande de créer le premier parfum de la maison. Roudnitska signe alors une création pour le moins étrange. Une fausse eau fraîche qui, passée l’envolée hespéridée qui sème le doute, se fait d’abord épicée et sensuelle, puis animale voire, pour certains, aphrodisiaque. Des agrumes acidulés aux aromates, de la note cumin très prononcée et toujours un peu sale au lit de cuir et bois un peu fumé : l’Eau d’Hermès est un vrai voyage olfactif, qui nous emmène si loin du point de départ qu’on ressort comme désorienté, presque hagard, de cette expérience « stupéfiante ». Roudnitska y rend évidemment hommage aux beaux cuirs de la maison Hermès, qui sont ici clairement à l’état sauvage. Étonnant pour une maison luxe à la clientèle très bon chic bon genre, qui renouera quelques décennies plus tard avec la belle parfumerie, toujours sophistiquée mais bien plus bridée. Chic et luxe, l’Eau d’Hermès l’est incontestablement, par la beauté de ses matières et la virtuosité de sa composition. Jean-Claude Ellena, parfumeur maison d’Hermès de 2004 à 2016, la considère même comme « le parfum des origines. L’ultime raffinement. » Elle est avant tout troublante et sans concessions. Clairement mixte (mais surtout pas androgyne), elle pousse à son paroxysme la féminité aussi bien que la virilité. Mais en évitant le sillage trop prononcé pour rester lovée contre la peau, l’Eau ne franchit jamais les limites du bon goût. Du grand art. Et une création singulière dans l’œuvre de Roudnitska, qui entame ensuite le virage vers ce qui sera sa signature : des parfums tout en légèreté, comme gorgés d’eau, où dominent les notes fraîches et cette sensation de transparence immaculée qui inspirera tant de parfumeurs après lui. On l’aime d’autant plus qu’elle ressemble à une apparition…


Parfum disponible aux Galeries Lafayette


Par Sylvia Dubost
Illustration Laetitia Gorsy