En circuit court,
une question de bon sens

Comment associer le plaisir de la table, l’origine des aliments et le respect d’une agriculture saine ? Une question au cœur de nos préoccupations de citadins, comme si le bon sens nous avait un jour quitté et qu’il fallait à tout prix le retrouver.

Le Jardin de Marthe, ferme biologique à Strasbourg-Robertsau. Photo : Jésus s. Baptista
Le Jardin de Marthe, ferme biologique à Strasbourg-Robertsau. Photo : Jésus s. Baptista

Le bon sens, celui du temps qu’il fait, des saisons et de ce que la terre est capable de produire, celui de la proximité, de la supérette à l’assiette, mais aussi du geste de la cuisine, éplucher ses légumes, faire chanter les oignons, ce bon sens revient en force et il était temps !

Cette prise de conscience a vu le jour en Italie, en 1986, avec un mouvement devenu international : le Slow Food. L’idée était principalement de sensibiliser les citoyens à l’éco-gastronomie et à l’alter-consommation. L’association a fait des petits : d’autres veulent développer les liens entre le plaisir, l’origine des aliments et la vie rurale.

Strasbourg, quelles sont les possibilités de manger local ? Depuis une dizaine d’années, la mission « Agriculture périurbaine » de l’Eurométropole travaille à développer des circuits courts et à les mettre en cohérence avec les besoins de consommation des citadins. Plusieurs pôles sont concernés, de l’agriculture durable aux missions pédagogiques auprès des écoles, en passant par le soutien aux associations et la création de lieux coopératifs accessibles aux consommateurs et aux restaurateurs. Fermes urbaines (dont le Jardin de Marthe, lisez notre reportage), AMAP, réseaux de distribution alternatifs, ruches citadines sont autant de projets menés. C’est ainsi qu’est née La Nouvelle Douane, projet qui a résulté d’un travail partenarial entre la ville, la chambre d’agriculture et des agriculteurs sélectionnés, associés ou impliqués, pas moins d’une cinquantaine à ce jour. Autre fonctionnement, même finalité chez Hop’la, coopérative créée en 2005 par six producteurs locaux qui ont souhaité créer un lieu de vente en commun. D’autres initiatives fleurissent, notamment l’AMAP Ma ferme bio qui réunit huit producteurs proches de Strasbourg pour composer des paniers sur mesure mêlant viandes, produits laitiers, légumes, œufs et même vin.

Agriculteurs, petits producteurs, consommateurs et restaurateurs ont aujourd’hui la volonté d’exprimer leurs besoins et de les faire coïncider aux exigences de l’usage. Ainsi, un nouveau lieu verra le jour fin 2020 dans l’ancienne Manufacture des tabacs, où un îlot central sera aménagé en espace de vente de produits locaux en agriculture bio. Ce projet doit rayonner sur tout le département avec la création d’un collectif autour d’un noyau, Manufacture L.A.B., piloté par la Fondation Terra Symbiosis. Ce collectif évolutif a pour but de développer l’agriculture locale, de fédérer les consommateurs, les restaurateurs et les producteurs autour de critères de qualité, de proximité, de respect des labels et de démontrer l’intérêt à travailler ensemble.

Les enjeux sont de taille puisqu’il s’agit de contrer les effets dégradants de l’industrie agroalimentaire, de la culture fast food et de la standardisation des goûts. Il s’agit aussi de défendre la biodiversité alimentaire, de promouvoir les effets bénéfiques d’une alimentation locale et non dégradée par les pesticides et les transports au long cours. Producteurs, acteurs économiques, cuisiniers de cantines ou d’étoilés, chargés de mission, responsables de filières et élus sont impliqués face au premier maillon de la chaîne : le consommateur.

Le consommateur a une véritable responsabilité, qu’il exprime dans le choix de ses produits, sa manière de cuisiner, de déguster mais aussi sa manière de s’informer et de demeurer un observateur éclairé face aux sirènes du tout bio et de ses dérives mercantiles. Cela vaut également pour les restaurateurs. À Strasbourg, des jeunes chefs pratiquant d’une bistronomie consciente et responsable, aux chefs bien implantés en passant par les adresses bien connues du grand public, on constate que la question du circuit court traverse toutes les échelles de la restauration. Pourquoi ? Quels avantages ? À la Binchstub, c’est clair : le lien intime aux produits prime. Régis Nombret, le patron, parle aussi d’une responsabilité face aux petits producteurs…

Étrangement, ce n’est que récemment que le Guide Michelin s’est doté de sa nouvelle marotte : un macaron vert, destiné à valoriser les restaurateurs qui travaillent en circuit court, avec des petits producteurs.
Un exercice qui a récemment provoqué la consternation de certains agriculteurs. Une poignée de chefs glorifiés n’hésite pas à utiliser le nom d’agriculteurs pour attester d’une démarche vertueuse auprès de leur clientèle (et des critiques…), agriculteurs se retrouvant en bout de chaîne, payés avec plusieurs mois de retard, voire tout simplement pas… Un grand lavage à grands coups de labels, de tampons, d’arrangements avec la réalité et de lois marketing qui ne remplacera donc pas la vigilance, l’information et le véritable lien humain.

À chacun d’entre nous de créer le circuit court du lien, du faire et de la confiance pour ré-enchanter la philosophie autour des plaisirs de la table et du partage.


Les points de vente en circuit court de l’Eurométropole sur le site : www.cartotheque.strasbourg.eu

Spécial confinement : Une carte interactive a été lancée par Arnaud Guittard et Thomas Cruzo (repérée dans le très bon article de Rue89 Strasbourg) : ils invitent les structures qui proposent drive et produits à emporter à remplir leurs informations. La carte est régulièrement mise à jour.


Par Valérie Bisson et Cécile Becker
Photo Jésus s. Baptista