Illustration She BAM Studio

Parfum culte : Calandre de Paco Rabanne, 1969

Nez |  Michel Hy
En 1969, la maison Paco Rabanne lance son premier parfum, Calandre, un coup de fouet qui fleure la liberté et la vitesse.

On avait failli l’oublier, celui-là… Pour tout dire, on était obnubilé par son clone, le beau et profond Rive gauche, sorti deux ans plus tard et auquel la réputation de la maison Yves Saint Laurent avait assuré un succès plus retentissant. On était même déjà passé au suivant (N°19 de Chanel). La faute à une chronologie un peu brouillée, qui nous empêchait de le percevoir tel qu’il était : une révolution dans le domaine de la parfumerie, dont ceux qui ont suivi ses traces ont profité plus que lui.

Lancé l’année de la légalisation de l’avortement par une toute jeune maison, il révèle ce que l’historienne des parfums Élisabeth de Feydeau appelle « une nouvelle donne olfactive », qui accompagne un tournant sociologique et un nouvel âge dans l’histoire des femmes. Tout ce qui a été créé « avant » symbolise cette femme-objet dont l’époque ne veut plus. L’époque veut autre chose, quelque chose qu’on n’a pas encore senti, qu’on porterait avec des vêtements qu’on n’a encore jamais portés.

En 1966, Francisco Rabaneda y Cuervo, jeune prodige de la mode qui se fait appeler Paco Rabanne, lance sa première collection : des robes « importables » en matériaux contemporains, avec sequins et plaques de rhodoïd. En toute logique, « le métallurgiste », comme l’appelait avec mépris cette vieille chouette de Coco Chanel, veut un parfum symbolisant cet esprit révolutionnaire. « Si avant-garde qu’il en serait choquant. » Il doit évoquer un couple qui, au bord de la mer, fait l’amour sur le capot d’une Jaguar… À partir de ce brief qui semble aujourd’hui un peu ridicule, le parfumeur Michel Hy crée un jus effectivement révolutionnaire. Comme un joyeux pied de nez, il réinvente le parfum aldéhydé, né avec le N°5, qui bouleversa la parfumerie dans les années 20 mais représente, à la fin des années 60, le classicisme et la bourgeoisie. Sa construction est très proche de celle de son aïeul : une envolée fusante mais plus verte, où le végétal terreux du galbanum rejoint le savonneux des aldéhydes ; un cœur floral moins opulent, où la douceur blanche du muguet se conjugue au piquant de la jacinthe. Et surtout, la molécule d’Evernyl, découverte dans la mousse de chêne. Cette note grinçante et froide lui donne cet aspect métallique si caractéristique.

Un coup de fouet cinglant qui ouvre une brèche dans laquelle toute la parfumerie s’engouffrera. D’une simplicité qui confine à la radicalité, Calandre a souvent été mal compris et sous-estimé par les critiques d’hier et d’aujourd’hui, qui ont souvent préféré ses successeurs, plus riches et plus denses. C’est sûr que ça rutile un peu, que cette claque peut ressembler à une agression. Mais ça sent surtout la liberté et la vitesse. Le N°19, qui arrive un an plus tard et doit marquer le 2e souffle de la maison Chanel, semble en comparaison bien sage et bourgeois… Aujourd’hui pourtant, dans les rayons des parfumeries, c’est lui qui a gagné.


Par Sylvia Dubost
Illustration She BAM Studio